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Summaries Sunday: SOQUIJ

Every week we present the summary of a decision handed down by a Québec court provided to us by SOQUIJ and considered to be of interest to our readers throughout Canada. SOQUIJ is attached to the Québec Department of Justice and collects, analyzes, enriches, and disseminates legal information in Québec.

PROFESSIONS : La seule délivrance de lentilles ophtalmiques au Québec par une entreprise de Vancouver, comme c’est le cas en l’espèce, ne peut constituer une contravention à l’article 16 et au premier alinéa de l’article 25 de la Loi sur l’optométrie ni un exercice illégal au Québec de l’optométrie.

Intitulé : Ordre des optométristes du Québec c. Coastal Contacts Inc., 2016 QCCA 837
Juridiction : Cour d’appel (C.A.), Montréal, 500-09-024950-156
Décision de : Juges François Doyon, Lorne Giroux et Manon Savard
Date : 16 mai 2016

PROFESSIONS — champ de pratique professionnelle — optométriste — exercice illégal — vente de lentilles ophtalmiques — site Web — société n’ayant pas d’établissement au Québec — monopole — distribution de lentilles ophtalmiques — notion de «vente» — interprétation de l’article 16 de la Loi sur l’optométrie — principe de la territorialité de la loi.

INTERNATIONAL (DROIT) — conflit de lois — vente de lentilles ophtalmiques — exercice illégal — optométriste — site Web — société n’ayant pas d’établissement au Québec — principe de la territorialité de la loi.

Appel d’un jugement de la Cour supérieure ayant rejeté une requête en jugement déclaratoire. Rejeté.

Un enquêteur agissant pour l’appelant a fait préparer une ordonnance par un optométriste du Québec à la suite d’un examen de la vue. À partir du site Web de l’intimée Coastal Contacts inc., il a commandé des lentilles cornéennes et des lunettes avec lentilles ophtalmiques auprès de cette dernière en lui fournissant l’ordonnance obtenue de l’optométriste du Québec. Coastal est une entreprise de Vancouver qui n’a pas d’établissement au Québec. Elle a transmis à l’enquêteur une confirmation électronique de sa demande et, ensuite, lui a fait livrer les lentilles cornéennes et les lunettes à l’adresse qu’il avait indiquée, à Montréal. L’intimée Gestion Progex est une société commerciale ayant son siège social au Québec et elle détient les noms de domaine www.verredecontact.com et www.lunettesarabais.com. Elle est liée à Coastal par un contrat de services aux termes duquel elle relie ses sites Web à ceux de Coastal. Elle redirige les personnes intéressées par les biens annoncés sur son site Web vers ceux de Coastal. Un enquêteur de l’appelant a commandé des lentilles cornéennes et des lunettes de Coastal, auprès de laquelle il avait été redirigé à partir du site de Progex. L’appelant a demandé à la Cour supérieure de déclarer que tant Coastal que Progex contreviennent à la Loi sur l’optométrie par l’intermédiaire de leurs sites Web en prétendant avoir le droit d’exercer une activité professionnelle réservée aux membres de l’Ordre des optométristes du Québec ou en agissant de manière à donner lieu de croire qu’elles sont autorisées à le faire. Il allègue que la vente de lentilles ophtalmiques est un acte réservé aux optométristes en vertu des articles 16 et 25 de la Loi sur l’optométrie et aux opticiens d’ordonnance en vertu de la Loi sur les opticiens d’ordonnances. L’appelant fait valoir que, en ce qui concerne la vente de lentilles ophtalmiques, il faut lire l’article 16 comme énonçant: «[c]onstitue l’exercice de l’optométrie tout acte […] qui a pour objet […] la vente […] de lentilles ophtalmiques». Selon cette interprétation, même si la vente de lentilles ophtalmiques en l’espèce a lieu à Vancouver en application de l’article 1387 du Code civil du Québec — une détermination du juge de première instance que l’appelant ne remet pas en question —, l’article 16 de la loi couvre tout acte ayant pour finalité la vente de lentilles ophtalmiques. Au soutien de cette interprétation, l’appelant invoque notamment l’article 8 de la Loi sur les opticiens d’ordonnances. Il affirme que ces deux lois doivent s’interpréter de la même manière. Si l’article 16 ne visait pas tout acte ayant pour finalité la vente de lentilles ophtalmiques, il en résulterait que le champ d’exercice exclusif des optométristes serait moins étendu que celui des opticiens d’ordonnances à l’égard d’actes réservés qui leur sont communs, un résultat que ne pourrait avoir voulu le législateur.

Décision
M. le juge Giroux: L’appelant n’a pas compétence sur le public acheteur de verres ophtalmiques. Le placement de la commande, son paiement et la réception de sa confirmation sont des actes accomplis au Québec par l’acheteur et non par Coastal. Seule la livraison au Québec est un acte réalisé au Québec par Coastal. De plus, la ressemblance invoquée par l’appelant entre la formulation de l’article 16 de la Loi sur l’optométrie et celle de l’article 8 de la Loi sur les opticiens d’ordonnances ne soutient pas son argument, qui fait notamment abstraction des membres de phrase qui, dans l’article 16, séparent les mots sur lesquels il voudrait fonder son raisonnement. L’interprétation littérale de l’article 16 ne peut conduire à la conclusion, contrairement à ce que prétend l’appelant, que chacun de ces actes, par exemple la publicité, le transport ou la livraison, doit être considéré comme faisant partie du champ de pratique exclusif de ses membres. Comme second moyen, l’appelant allègue que le mot «vente» utilisé à l’article 16 de la loi a un sens plus étendu que celui du seul contrat de vente prévu au Code civil du Québec. En considérant l’objectif de la loi, qui est celui d’assurer la protection du public tel que le prescrit l’article 23 du Code des professions (C.prof.), l’appelant fait valoir que le mot «vente» se trouvant à l’article 16 de la loi vise l’activité professionnelle «qui consiste à contrôler la distribution au public d’un produit réglementé». L’appelant revendique ainsi un monopole de distribution de lentilles ophtalmiques sur le territoire québécois au profit des membres de l’Ordre des optométristes. Il s’agit toutefois d’un monopole qu’il devrait partager avec les opticiens d’ordonnances puisque l’article 8 de la Loi sur les opticiens d’ordonnances emploie le même vocabulaire. Dans Celgene Corp. c. Canada (Procureur général), (C.S. Can., 2011-01-20), 2011 CSC 1, SOQUIJ AZ-50711412, 2011EXP-309, J.E. 2011-167, [2011] 1 R.C.S. 3, invoqué par l’appelant, l’appelante faisait des ventes à partir des États-Unis, livrait à des médecins canadiens et se faisait payer en dollars américains par messagerie ou par la poste à ses bureaux du New Jersey; elle avait cependant obtenu un brevet canadien pour le Thalomid, conformément à la Loi sur les brevets. En l’espèce, Coastal n’est pas assujettie au régime québécois du droit professionnel mais est soumise aux lois de la Colombie-Britannique. En outre, l’arrêt Ordre des pharmaciens du Québec c. Meditrust Pharmacy Services Inc. (C.A., 1994-11-03), SOQUIJ AZ-94012080, J.E. 94-1846, [1994] R.J.Q. 2833, ne constitue pas une autorité suffisante pour en tirer la conclusion, comme le voudrait l’appelant, que l’article 16 de la loi, qui délimite le champ de pratique exclusif des membres de l’Ordre des optométristes, vise la seule livraison de lentilles ophtalmiques au Québec lorsque la vente intervient à l’extérieur du Québec. L’appelant a raison lorsqu’il prétend que, dans Association pharmaceutique du Québec c. T. Eaton Co. (B.R., 1931-03-13), 50 B.R. 482, la Cour d’appel a tranché la question qui lui était soumise en se fondant sur les règles civiles de formation du contrat. Cependant, il suffit notamment de comparer la Loi sur l’optométrie avec les dispositions de la Loi sur la pharmacie et des règlements adoptés sous son autorité pour constater immédiatement la rigueur des éléments propres à la vente et à la distribution d’un produit réglementé. La revendication par l’appelant d’un monopole de distribution de lentilles ophtalmiques semble peu conciliable non plus avec l’article 20 de la Loi sur l’optométrie. Par cette disposition, le législateur reconnaît, du moins de façon implicite, que la vente de lentilles ophtalmiques peut être faite au Québec par une entreprise dans laquelle aucun optométriste n’a d’intérêt. En conséquence, la seule délivrance de lentilles ophtalmiques au Québec ne peut constituer une violation de l’article 16 et du premier alinéa de l’article 25 ni représenter l’exercice illégal au Québec de l’optométrie.

Une fois écartée l’interprétation de l’article 16 de la loi proposée par l’appelant, il n’est plus nécessaire de s’interroger sur la question de la portée territoriale de cette dernière ni sur celle de la compétence territoriale du législateur québécois que les parties ont débattues dans leurs mémoires respectifs et à l’audience. C’est le principe de la territorialité qui s’applique. Ainsi, en l’absence d’une disposition contraire, expresse ou implicite, on présumera que l’auteur d’un texte législatif s’attend à ce qu’il s’applique aux personnes, aux lieux, aux actes ou aux faits qui se situent à l’intérieur des limites du territoire soumis à sa compétence. Enfin, les intimées ont raison de soutenir que la publicité de Progex ne comporte aucun des éléments essentiels d’une offre de contracter. Elle se contente de faire de la publicité et de rediriger le client vers le site Web de l’intimée Coastal. Le juge de première instance était bien fondé à conclure que ce serait donner une portée beaucoup trop large à la loi que de considérer la publicité comme «un acte relatif à la vente».

Le texte intégral de la décision est disponible ici

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