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Summaries Sunday: SOQUIJ

Every week we present the summary of a decision handed down by a Québec court provided to us by SOQUIJ and considered to be of interest to our readers throughout Canada. SOQUIJ is attached to the Québec Department of Justice and collects, analyzes, enriches, and disseminates legal information in Québec.

CONSTITUTIONNEL (DROIT) : La Constitution du Canada n’autorise pas la mise en place d’une réglementation pancanadienne des valeurs mobilières sous la gouverne d’un organisme unique selon le modèle prévu par la plus récente publication du Protocole d’accord concernant le régime coopératif de réglementation des marchés des capitaux.

Intitulé : Renvoi relatif à la réglementation pancanadienne des valeurs mobilières, 2017 QCCA 756
Juridiction : Cour d’appel (C.A.), Montréal, 500-09-025430-158
Décision de : Juges Nicole Duval Hesler (juge en chef), Jean Bouchard, Manon Savard et Robert M. Mainville; Mark Schrager (diss. en partie)
Date : 10 mai 2017

CONSTITUTIONNEL (DROIT) — partage des compétences — valeurs mobilières — Loi sur la stabilité des marchés des capitaux — loi uniforme adoptée par chaque province et territoire participant — objet véritable de la loi — compétence fédérale — trafic et commerce.

CONSTITUTIONNEL (DROIT) — institution constitutionnelle — pouvoir exécutif — pouvoir législatif — délégation de pouvoirs — délégation illégale — souveraineté parlementaire — conseil des ministres provinciaux — droit de veto — modification législative — valeurs mobilières — Loi sur la stabilité des marchés des capitaux — loi uniforme adoptée par chaque province et territoire participant — risques systémiques à l’échelle nationale — fédéralisme.

VALEURS MOBILIÈRES — divers — Loi sur la stabilité des marchés des capitaux — loi uniforme adoptée par chaque province et territoire participant — objet véritable de la loi — compétence fédérale — trafic et commerce — validité constitutionnelle — risques systémiques à l’échelle nationale.

PROCÉDURE CIVILE — moyens préliminaires — moyen déclinatoire — compétence — Cour d’appel — procureur général du Québec — intérêt requis — régime canadien de réglementation des valeurs mobilières — protocole d’entente — province non participante.

Renvoi relatif à la réglementation pancanadienne des valeurs mobilières.

Selon un protocole d’accord signé par le gouvernement fédéral, cinq provinces et un territoire, un nouveau régime de réglementation des marchés de capitaux serait mis en place comportant une Autorité de réglementation des marchés des capitaux à l’échelle nationale (ARMC), une loi uniforme adoptée par chaque province et territoire participant (loi uniforme) ainsi qu’une loi fédérale sur la stabilité des marchés des capitaux (loi fédérale). À la tête du régime se trouve un conseil des ministres composé des ministres responsables de la réglementation des marchés des capitaux dans les provinces et le territoire participants et du ministre des Finances du Canada. Ce conseil des ministres supervisera l’ARMC, un organisme national de réglementation qui serait chargé de l’administration intégrée du régime. La loi uniforme porte sur toutes les questions ayant trait à la réglementation générale des marchés des capitaux. Les provinces et le territoire participants s’engagent à adopter cette loi et à déléguer son administration à l’ARMC. Un mécanisme de vote au sein du conseil des ministres est prévu pour les modifications à cette loi, pour l’adoption des règlements sous cette loi et pour les modifications fondamentales au régime. La loi fédérale porte sur la collecte de données à l’échelle nationale, le contrôle des risques systémiques liés aux marchés de capitaux et les infractions criminelles. L’administration de la loi fédérale est déléguée à l’ARMC. La loi fédérale prévoit elle aussi un rôle déterminant pour le conseil des ministres, qui doit notamment approuver tous les règlements adoptés en vertu de cette loi. La première question soumise au renvoi consiste à déterminer si la constitution du Canada autorise la mise en place d’une réglementation pancanadienne des valeurs mobilières sous la gouverne d’un organisme unique selon le modèle prévu par la plus récente publication du Protocole d’accord concernant le régime coopératif de réglementation des marchés des capitaux. La seconde question consiste à déterminer si la plus récente version de l’ébauche de la loi fédérale intitulée Loi sur la stabilité des marchés des capitaux excède la compétence du Parlement du Canada sur le commerce selon l’article 91 (2) de la Loi constitutionnelle de 1867.

Décision

Mme la juge en chef Duval Hesler, M. le juge Bouchard, Mme la juge Savard et M. le juge Mainville: À titre préliminaire, la procureure générale de la Colombie-Britannique (PGCB) conteste la compétence de la Cour d’appel pour entendre la première des deux questions du renvoi. Selon celle-ci, cette question ne soulève pas d’intérêt véritable touchant le gouvernement du Québec puisque le protocole d’accord ne lie que le fédéral et les provinces participantes. Puisque le gouvernement du Québec n’en est pas signataire, la PGCB caractérise comme étant spéculatives les inquiétudes de la procureure générale du Québec (PGQ) concernant les répercussions du régime sur les provinces non participantes. Or, le régime comprend une loi fédérale qui est applicable dans l’ensemble du pays. Il établit aussi un conseil des ministres qui détiendra des pouvoirs considérables sous cette loi aux effets pancanadiens. Les effets nationaux du régime proposé sont donc manifestes et ses ramifications constitutionnelles sont importantes. Dans ces circonstances, l’intérêt de la PGQ est évident. Quant à la loi uniforme qui fait partie intégrante du régime, la Cour suprême du Canada a conclu, dans Hunt c. T&N PLC (C.S. Can., 1993-11-18), SOQUIJ AZ-93111139, J.E. 93-1890, [1993] 4 R.C.S. 289, que les tribunaux de la Colombie-Britannique étaient compétents pour statuer sur la constitutionnalité d’une loi d’une autre province, en l’occurrence une loi de l’Assemblée nationale du Québec.

Depuis A.G. of Nova Scotia c. A.G. of Canada (C.S. Can., 1950-10-03), [1951] R.C.S. 31, il est bien établi qu’un transfert direct d’un pouvoir législatif d’un palier du gouvernement à l’autre est inconstitutionnel. La branche exécutive du gouvernement ne peut édicter, écarter ou modifier une législation en vigueur. Le régime proposé vise à mettre de côté ce principe fondamental en accordant au conseil des ministres le pouvoir de dicter les modifications à la loi uniforme aux provinces participantes récalcitrantes. Le but avoué et l’effet incontestable du régime sont de permettre au conseil des ministres de contrôler les modifications à la loi uniforme, d’imposer de telles modifications à toutes les provinces participantes et d’empêcher toute modification législative qui n’aurait pas reçu son aval. Par l’entremise du protocole d’accord, la branche exécutive des gouvernements de chacune des provinces participantes s’engage ainsi à rendre exécutoires les décisions prises par le conseil des ministres au regard des modifications à la loi uniforme. Compte tenu des caractéristiques concrètes du cadre constitutionnel canadien — lesquelles requièrent que la branche exécutive du gouvernement contrôle de fait la législature —, les contraintes énoncées au protocole d’accord sont, de fait, des contraintes sur les législatures des provinces participantes. Comme l’a noté la Cour suprême dans le Renvoi relatif au régime d’assistance publique du Canada (C.-B.), (C.S. Can., 1991-08-15), SOQUIJ AZ-91111082, J.E. 91-1267, [1991] 2 R.C.S. 525: «Toute restriction imposée au pouvoir de l’exécutif de déposer des projets de loi constitue une limitation de la souveraineté du Parlement lui-même» (p. 560). La prétention de la PGCB voulant que le rôle du conseil des ministres au regard des modifications législatives ne constitue qu’une exigence procédurale doit aussi être écartée. En accordant un droit de veto sur la réglementation fédérale des risques systémiques qui peut être exercé par certaines provinces participantes, le régime compromet l’objet même de la loi fédérale et, partant, les assises constitutionnelles sur lesquelles repose la compétence fédérale portant sur les risques systémiques à l’échelle nationale. En effet, par le jeu des droits de vote qui s’exerceront au sein du conseil des ministres, ce sont les provinces participantes ayant de grands marchés des capitaux qui décideront de la réglementation fédérale pancanadienne visant à contrer une menace à la stabilité du système financier canadien susceptible d’avoir des conséquences négatives importantes sur l’économie canadienne dans son ensemble. Une telle abdication de compétences en faveur de certaines provinces suscite des questions sur le plan constitutionnel et paraît contraire au principe du fédéralisme, l’un des fondements de l’ordre constitutionnel canadien. Le Parlement canadien a la compétence requise pour adopter la loi fédérale, à l’exception des articles qui concernent le rôle et les pouvoirs du conseil des ministres. Le caractère véritable de la loi fédérale semble être la stabilité de l’économie canadienne par la gestion des risques systémiques liés aux marchés des capitaux qui sont susceptibles d’avoir des conséquences négatives importantes sur l’économie canadienne. La loi fédérale — sous réserve du rôle et des pouvoirs conférés au conseil des ministres — relève de la compétence fédérale générale en matière de trafic et de commerce. Toutefois, les dispositions de la loi fédérale portant sur le conseil des ministres énoncées à ses articles 76 à 79 sont inconstitutionnelles. Leur effet est de rendre la loi fédérale inconstitutionnelle dans son ensemble si elles n’en sont pas retirées. Il est utile de noter que les règlements fédéraux approuvés par le conseil des ministres s’appliqueront également aux provinces non participantes sans que ces dernières aient un droit de vote au sein du conseil. Cela crée aussi une grave asymétrie minant l’équilibre de la fédération canadienne: des provinces voteraient sur la réglementation fédérale s’appliquant sur le territoire d’autres provinces. En l’occurrence, il faut aussi constater qu’il en résulterait une asymétrie des pouvoirs accordés aux organes de représentation provinciaux pour l’adoption d’une réglementation fédérale qui s’appliquerait même dans les provinces non participantes.

M. le juge Schrager, dissident en partie: Les deux projets de loi qui sont soumis sont respectivement intra vires des provinces et du Parlement fédéral. Rien dans leur contenu ne constitue une délégation illégale de l’autorité législative ou une abdication de la souveraineté parlementaire. Par contre, le Protocole d’accord concernant le régime coopératif de réglementation des marchés des capitaux comporte certains aspects qui pourraient constituer une délégation illégale des pouvoirs législatifs ou une abdication de la souveraineté parlementaire. L’avis de validité constitutionnelle délivré par cette cour doit cependant se limiter aux instruments législatifs (les 2 projets de loi soumis) et ne doit pas porter sur une entente intergouvernementale, c’est-à-dire le protocole. Dans la mesure toutefois où la Cour est liée par la formulation des questions telles qu’elles sont posées, il est proposé, à la lumière de certains aspects du protocole, et vu l’absence de la loi constitutive de l’agence de réglementation, que la Cour refuse de répondre à la première question. Il n’y a rien d’inconstitutionnel à ce que chaque législateur délègue à un seul et même organisme — l’ARMC — ses pouvoirs réglementaires en matière de valeurs mobilières dans la mesure où chacun agit à l’intérieur de son champ de compétence respectif prévu à l’article 91 (2) ou à l’article 92 (13) de la Loi constitutionnelle de 1867. De plus, rien dans l’une ou l’autre des lois à l’étude n’outrepasse ces principes. De fait, la seule délégation qui équivaudrait à une abdication de la souveraineté parlementaire se trouve dans le protocole (art. 5.5). Ce dernier n’est pas une loi, mais plutôt une entente intergouvernementale qui établit une feuille de route pour l’adoption de la loi uniforme ainsi que pour sa mise en application par l’ARMC. Une revue de la jurisprudence convainc le tribunal que la validité constitutionnelle du protocole ne peut faire l’objet d’un contrôle judiciaire. Le seul renvoi direct au protocole dans les lois à l’étude se situe à la définition du conseil, qui trouve sa pertinence aux articles 76 à 79 de la loi fédérale et aux articles 206 et 207 de la loi uniforme. Ces dispositions donnent au conseil le pouvoir d’approuver les règlements pris en vertu de l’une ou l’autre de ces lois. On pourrait prétendre que ce mécanisme d’approbation constitue une abdication de la souveraineté parlementaire puisque les ministres provinciaux ont leur mot à dire sur la réglementation fédérale et que le ministre fédéral peut se prononcer sur la réglementation provinciale. Dans la mesure où tel serait le cas, une telle abdication serait circonscrite aux pouvoirs délégués d’adoption des règlements. Or, ces délégations sont permises selon A.G. of Nova Scotia c. A.G. of Canada, et Prince Edward Island Potato Marketing Board c. H.B. Willis Inc. (C.S. Can., 1952-06-30), [1952] 2 R.C.S. 392. Les enjeux véritablement nationaux et susceptibles d’avoir une importance cruciale pour l’économie nationale constituent le caractère véritable de la loi fédérale. De tels enjeux ne peuvent être réglementés de façon efficace qu’au palier fédéral et, à ce titre, relèvent de l’article 91 (2) de la Loi constitutionnelle de 1867. Suivant les enseignements de la Cour suprême dans General Motors of Canada Ltd. c. City National Leasing (C.S. Can., 1989-04-20), SOQUIJ AZ-89111042, J.E. 89-644, [1989] 1 R.C.S. 641, et dans le Renvoi relatif au régime d’assistance publique du Canada (C.-B.), un événement ou un phénomène qui engendre véritablement un risque systémique ne peut, par définition, être réglementé de façon efficace que par une réglementation nationale. Il ressort de l’étude de la structure du projet de loi d’un point de vue constitutionnel, à la lumière de General Motors of Canada et du Renvoi relatif au régime d’assistance publique du Canada (C.-B.), que la loi fédérale relève de l’article 91 (2) sans empiéter sur la compétence des provinces prévue à l’article 92 (13) de la Loi constitutionnelle de 1867. Les articles 76 à 79 de la loi fédérale n’invalident pas cette dernière. Le Parlement est libre de déléguer ses fonctions réglementaires de la manière qu’il le souhaite et, à cet égard, de constituer l’organisme (l’ARMC) auquel il délègue ses fonctions. Le Parlement peut déterminer le fonctionnement interne d’un tel organisme, dont le processus d’approbation des règlements proposés par ce dernier. Le fait que l’organisme proposant ces règlements (le conseil) soit composé de ministres des gouvernements provinciaux n’invalide pas la délégation. Contrairement à l’opinion de la majorité, l’article 78 de la loi fédérale n’empêche pas le gouvernement fédéral d’adopter avec efficacité des règlements au motif que les provinces, par l’entremise de leurs ministres siégeant au conseil, pourraient refuser tout règlement proposé en vertu de la loi fédérale.

Le texte intégral de la décision est disponible ici

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