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Summaries Sunday: SOQUIJ

Every week we present the summary of a decision handed down by a Québec court provided to us by SOQUIJ and considered to be of interest to our readers throughout Canada. SOQUIJ is attached to the Québec Department of Justice and collects, analyzes, enriches, and disseminates legal information in Québec.

TRAVAIL : La Loi assurant la continuité de la prestation des services juridiques au sein du gouvernement et permettant la poursuite de la négociation ainsi que le renouvellement de la convention collective des salariés assurant la prestation de ces services juridiques porte atteinte à la liberté d’association des juristes de l’État québécois; une telle atteinte n’est pas justifiée au sens de la Charte canadienne des droits et libertés et de la Charte des droits et libertés de la personne.

Intitulé : Les avocats et notaires de l’État québécois c. Procureure générale du Québec, 2019 QCCS 3897
Juridiction : Cour supérieure (C.S.), Montréal
Décision de : Juge Johanne Brodeur
Date : 18 septembre 2019

TRAVAIL — fonction publique provinciale — emploi et rémunération — droits et libertés — juristes de l’État — fonction publique provinciale — Loi assurant la continuité de la prestation des services juridiques au sein du gouvernement et permettant la poursuite de la négociation ainsi que le renouvellement de la convention collective des salariés assurant la prestation de ces services juridiques — demande de déclaration d’inconstitutionnalité — interdiction du droit de grève — régime de négociation collective — liberté d’association — atteinte non justifiée — pourvoi en contrôle judiciaire accueilli.

DROITS ET LIBERTÉS — droits et libertés fondamentaux — association — liberté d’association — juristes de l’État — interdiction du droit de grève — régime de négociation collective — mécanisme de négociation et de médiation — matière exclue du régime — entrave substantielle — demande de déclaration d’inconstitutionnalité — article 1 et 2 d) de la Charte canadienne des droits et libertés — articles 3 et 9.1 de la Charte des droits et libertés de la personne — atteinte non justifiée.

CONSTITUTIONNEL (DROIT) — divers — Loi assurant la continuité de la prestation des services juridiques au sein du gouvernement et permettant la poursuite de la négociation ainsi que le renouvellement de la convention collective des salariés assurant la prestation de ces services juridiques — demande de déclaration d’inconstitutionnalité — interdiction du droit de grève — régime de négociation collective — liberté d’association — article 2 d) de la Charte canadienne des droits et libertés — article 1 de la Charte canadienne des droits et libertés — article 3 de la Charte des droits et libertés de la personne — atteinte non justifiée (art. 9.1 de la Charte des droits et libertés de la personne) — demande accueillie.

Demande de pourvoi en contrôle judiciaire relative à une demande de déclaration d’inconstitutionnalité. Accueillie.

Les avocats et notaires de l’État québécois (LANEQ) est une association de salariés accréditée pour représenter les avocats et les notaires de l’État québécois. Une grève a été déclenchée. Alors qu’ils respectaient les décisions du Tribunal administratif du travail (TAT) relativement aux services essentiels, l’Assemblée nationale a adopté une loi intitulée Loi assurant la continuité de la prestation des services juridiques au sein du gouvernement et permettant la poursuite de la négociation ainsi que le renouvellement de la convention collective des salariés assurant la prestation de ces services juridiques (loi 2017). Celle-ci leur interdisait l’exercice du droit de grève, ordonnait leur retour au travail et prévoyait un mécanisme de poursuite des négociations ainsi qu’un processus de médiation postadoption et, en l’absence d’entente, leurs conditions de travail. Les avocats et les notaires employés de l’Agence du revenu du Québec ne sont pas visés par la loi 2017 puisqu’ils ne sont pas rémunérés et nommés en vertu de la Loi sur la fonction publique. La constitutionnalité de la loi 2017 est au coeur du présent recours. LANEQ demande notamment de déclarer que celle-ci est invalide parce qu’elle porte atteinte à la liberté d’association garantie par la Charte canadienne des droits et libertés et la Charte des droits et libertés de la personne et que cette atteinte n’est pas justifiée dans une société libre et démocratique.

Décision

La loi 2017 entrave de façon substantielle le droit à la liberté d’association garantie par l’article 2 d) de la Charte canadienne des droits et libertés et par l’article 3 de la Charte des droits et libertés de la personne puisqu’elle interdit complètement le droit de grève.

En effet, d’une part, LANEQ a prouvé l’atteinte aux droits. L’exercice du droit de grève des juristes est encadré par différentes lois qui requièrent l’envoi d’avis et le respect de délais avant d’être autorisé. Il est déjà morcelé par les décisions du TAT relatives aux services essentiels. Les articles 4 à 10 de la loi 2017, lesquels interdisent totalement l’exercice du droit de grève, perturbent l’équilibre des rapports de force entre les employés et l’employeur, de telle sorte qu’il y a interférence substantielle dans le processus de négociation véritable. Les arguments du procureur général du Québec selon lesquels il n’y aurait pas d’entrave au droit de négociation lorsque le processus de négociation véritable a été pleinement exercé ou que les parties sont dans une impasse telle que la grève ne contribue plus à faire avancer la négociation ne sont pas retenus.

D’autre part, cette entrave n’est pas justifiée en vertu de l’article 1 de la Charte canadienne des droits et libertés ni en vertu de l’article 9.1 de la Charte des droits et libertés de la personne. Dans un premier temps, cette loi constitue la réponse gouvernementale à des préoccupations urgentes et réelles. Elle force le retour au travail des juristes de l’État, ce qui permet la réalisation de son objectif: assurer la continuité des services.

Quant au test de la proportionnalité, le moyen choisi, soit l’interdiction de la grève et de toute autre action concertée qui implique un arrêt ou un ralentissement du travail, permet d’atteindre l’objectif. Toutefois, l’effet des différents éléments de la loi excède ce qui est raisonnablement nécessaire en vue d’atteindre l’objectif de l’État pour les raisons suivantes. 1) Il n’y a pas de mécanisme de règlement des différends véritable et efficace. En effet, la durée de la période de négociation ou de médiation est arbitraire et augmente la pression sur LANEQ, entraînant ainsi un déséquilibre des forces. De plus, le processus ne permet pas de redresser l’équilibre des forces, car il ne permet pas aux parties de discuter sur un pied d’égalité. L’argument du gouvernement relatif à la répercussion sur le budget ne peut être opposé à l’égard de plusieurs conditions de travail, et des mécanismes adéquats peuvent permettre de contourner certaines difficultés. Il existe également plusieurs moyens de règlement de différends, déjà adoptés par l’État, qui sont moins attentatoires. Le processus de médiation est vicié par l’imposition de facteurs devant être pris en considération par le médiateur.

Enfin, l’exclusion de la question du régime de négociation durant la période de médiation n’est pas justifiée. 2) L’abrogation totale du droit de grève, pendant 3 années, n’est pas soutenue par une justification. 3) Le gouvernement n’a pas présenté de demande relative à une modification des services essentiels. 4) Le cumul des mesures administratives, civiles et pénales ainsi que la modification des critères d’autorisation de l’action collective prévus au Code de procédure civile sont excessifs ou non justifiés. 5) Les conditions de travail sont décrétées et inférieures aux dernières offres patronales. De plus, l’atteinte ne se limite pas à ce qui est raisonnablement nécessaire. Les effets bénéfiques de la mesure sont réels, mais les effets préjudiciables les outrepassent. Il appartient au législateur de déterminer quand et comment il doit intervenir dans un conflit de travail ainsi que d’évaluer le contexte social et l’intérêt public. La Charte canadienne des droits et libertés et la Charte des droits et libertés de la personne ne privent pas l’État de son pouvoir législatif mais balisent celui-ci. Une loi de retour au travail peut et doit respecter les chartes. La loi 2017 est déclarée inconstitutionnelle.

Quant à la réparation du préjudice, aucune indemnité à titre de dommages-intérêts n’est accordée. La responsabilité recherchée n’est pas celle de l’État à titre d’employeur, mais celle du législateur à la suite de l’adoption d’une loi déclarée par la suite inconstitutionnelle. Reconnaître que l’adoption d’une loi par le Parlement constitue un acte fautif engageant sa responsabilité civile va à l’encontre d’un principe général de droit public. Le fardeau de la preuve est lourd. LANEQ n’a pas démontré que le législateur s’était comporté de manière fautive ni qu’il avait agi de mauvaise foi ou abusé de son pouvoir en adoptant la loi 2017.

Enfin, le Tribunal rejette la demande d’ordonnance de mettre en place un véritable mécanisme de règlement des différends, et ce, en vertu du principe de la séparation des pouvoirs.

Le texte intégral de la décision est disponible ici

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