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Summaries Sunday: SOQUIJ

Every week we present the summary of a decision handed down by a Québec court provided to us by SOQUIJ and considered to be of interest to our readers throughout Canada. SOQUIJ is attached to the Québec Department of Justice and collects, analyzes, enriches, and disseminates legal information in Québec.

CONSTITUTIONNEL (DROIT) : Le gouvernement du Québec avait un devoir de consulter les Innus de Uashat et de Mani-Utenam ainsi que la Bande Innu Takuaikan Uashat Mak Mani-Utenam en ce qui concerne la construction d’une ligne de transport d’énergie; la consultation qu’il a menée était insuffisante pour préserver l’honneur de la Couronne et pour concilier les intérêts de cette dernière avec ceux des demandeurs.

Intitulé : Innus de Uashat et de Mani-Utenam (Innus de UMM) c. Procureur général du Québec, 2022 QCCS 4625
Juridiction : Cour supérieure (C.S.), Montréal
Décision de : Juge Thomas M. Davis
Date : 8 décembre 2022

Résumé

CONSTITUTIONNEL (DROIT) — autochtones — droits ancestraux — revendication — territoire — ligne de transport d’énergie — demande de type Haïda — honneur de la Couronne — obligation de consultation — suffisance de la consultation — mesure d’accommodement.

PROCÉDURE CIVILE — pièces — objection à la preuve — procédures judiciaires — rapport du Bureau d’audiences publiques sur l’environnement — étude d’impacts économiques et sociaux — communication tardive de pièces — revendication — autochtones — droits ancestraux — connaissance — pertinence — proportionnalité — aveu extrajudiciaire — article 2870 C.C.Q. — faits ou opinion — droit au contre-interrogatoire.

ADMINISTRATIF (DROIT) — contrôle judiciaire — cas d’application — divers — gouvernement du Québec — demande de type Haïda — autochtones — droits ancestraux — honneur de la Couronne — obligation de consultation — suffisance de la consultation — délégation — Hydro-Québec — norme de contrôle — décision correcte.

PREUVE — témoignage — rapport pour valoir à titre de témoignage — rapport du Bureau d’audiences publiques sur l’environnement — étude d’impacts économiques et sociaux — communication tardive de pièces — procédures judiciaires — aveu extrajudiciaire.

Demande de type Haïda. Accueillie.

Les requérants s’opposaient à la construction d’une ligne de transport d’énergie d’une longueur approximative de 15 kilomètres entre le poste Arnaud et l’usine d’Aluminerie Alouette, laquelle est maintenant terminée. Ils revendiquent des droits ancestraux préexistants et sui generis, y compris le titre ancestral ainsi que des droits issus de traités sur leur territoire traditionnel, qui comprend la baie de Sept-Îles, la baie de Sainte-Marguerite et la Pointe-Noire. Les demandeurs invoquent l’insuffisance de la consultation par les gouvernements du Québec et du Canada avant que le promoteur, Hydro-Québec, n’entame la construction de la ligne ainsi qu’au cours de celle-ci. Le gouvernement du Québec fait valoir notamment que les demandeurs ont refusé de participer aux consultations menées par Hydro-Québec et qu’il ne disposait pas d’informations suggérant que ceux-ci avaient des préoccupations quant à l’incidence du projet sur le titre ou les droits ancestraux revendiqués. Le gouvernement du Canada estime, pour sa part, ne pas avoir un devoir de consultation puisque la partie de la ligne qui se trouve sur les terres du port de Sept-Îles n’était pas susceptible d’avoir une incidence préjudiciable sur l’exercice futur des droits revendiqués par les demandeurs. Le présent jugement porte notamment sur la question de la suffisance de la consultation ainsi que le droit du gouvernement du Québec de déléguer certains éléments de celle-ci à Hydro-Québec.

Décision

L’objection des défendeurs au dépôt de 2 pièces présentées par les demandeurs tardivement est maintenue. Les parties ont choisi d’administrer la preuve au moyen de déclarations sous serment, y compris les interrogatoires des déclarants. Le dépôt de ces documents sans respecter cet encadrement permettrait au Tribunal de les consulter sans avoir de preuve en ce qui concerne leur contexte. De plus, ces documents ne sont pas des déclarations d’individus, mais plutôt des rapports comportant simultanément des faits et des opinions. Or, pour être recevable en vertu de l’article 2870 du Code civil du Québec, une déclaration doit se limiter à des faits.

L’obligation de consulter les peuples autochtones tire sa source du principe d’honneur de la Couronne. Elle prend naissance lorsque cette dernière a connaissance de l’existence potentielle du droit ou du titre ancestral revendiqué et qu’elle envisage des mesures susceptibles d’avoir un effet préjudiciable sur celui-ci. La Couronne, bien qu’elle demeure responsable du caractère adéquat de la consultation, peut déléguer certains aspects procéduraux de la consultation à des sociétés d’État ou à des acteurs industriels. Devant une revendication relativement solide, la Couronne ne peut faire fi du fait que les autochtones ont le droit d’être consultés en ce qui a trait à l’utilisation proposée de leurs terres traditionnelles par un promoteur. Le gouvernement du Canada n’avait pas un devoir de consultation. Étant donné l’étendue très limitée de la construction de la ligne dans le port de Sept-Îles, l’existence d’un effet préjudiciable additionnel par l’érection de nouveaux pylônes à côté de ceux existants peut être remise en question. De plus, compte tenu des activités portuaires et industrielles, les demandeurs ne peuvent exercer leurs activités traditionnelles à l’intérieur de l’enceinte du port depuis les années 1950. En ce qui concerne le gouvernement du Québec, le fait qu’il ait convenu, en 2011, de négocier avec les demandeurs constitue un indice de sa reconnaissance de leur revendication. Il est clair que le Québec avait une obligation de consultation, ce qu’il a d’ailleurs reconnu lorsqu’il a rencontré les demandeurs en février 2015. La décision de permettre la construction d’une ligne de transport sur le territoire revendiqué par les demandeurs a fait naître un devoir de consultation. Il y avait un risque d’effet préjudiciable et la gravité de ce risque aurait pu être mieux évaluée par une consultation appropriée.

De plus, la décision de modifier le tracé proposé aux demandeurs en 2009 donnait lieu à une obligation accrue au regard de la consultation, car elle modifiait encore plus la capacité de ceux-ci de se servir des terres pour leurs activités traditionnelles et augmentait le risque de préjudice. Il était très important de connaître les préoccupations des demandeurs relatives à ce nouveau tracé. Une consultation avant la construction, comme il se devait, aurait donné au Québec une perspective des craintes des demandeurs concernant les oiseaux migrateurs. Le risque de collision des oiseaux avec les lignes était un préjudice possible que le Québec ne pouvait ignorer. Ce risque réel devait être pris en considération et cette analyse n’a pas eu lieu au moment approprié. Le Québec ne pouvait déléguer la consultation à Hydro-Québec puisqu’il devait se limiter à cet égard aux éléments procéduraux. En outre, il n’a pas participé au processus comme il aurait dû le faire et il ne pouvait se fier à ce qu’Hydro-Québec rapportait en ce qui concerne les consultations avec les demandeurs. Les rencontres que celui-ci organisait n’ouvraient pas la porte à un véritable dialogue. Les rencontres ayant eu lieu en 2009 et en 2012 étaient des séances d’information et visaient également d’autres groupes touchés par la ligne de transport d’énergie. Cette façon de faire ne respectait pas les lignes de conduite du gouvernement du Québec. Or, une démarche qui se limite à informer un groupe d’autochtones d’un projet à venir ne permet pas normalement à la Couronne de s’acquitter de son devoir de consultation. En outre, la non-collaboration qu’Hydro-Québec impute aux demandeurs n’est pas retenue. Il aurait été préférable que ceux-ci répondent aux invitations d’Hydro-Québec, mais leur omission ne libérait pas le gouvernement du Québec de son obligation de les consulter. Le devoir des demandeurs était de collaborer à un processus de consultation mené par le gouvernement, et non à des séances d’information organisées par Hydro-Québec, surtout quand ils ignoraient l’importance que le gouvernement allait donner à ces réunions.

À ce stade, il n’est pas nécessaire d’évaluer le bien-fondé de la revendication des demandeurs, mais plutôt la solidité de la revendication potentielle. La preuve soutient la conclusion que les demandeurs exerçaient leurs activités traditionnelles sur le territoire en litige avant le contact avec les Européens et qu’ils les exercent depuis. Dans ses négociations avec les demandeurs en 2011, le Québec avait reconnu que leur revendication était loin d’être futile. Celle-ci paraît fondée et crédible. La rencontre de février 2015 n’était pas suffisante pour pallier le processus de consultation quasi inexistant qui a été mené avant le début du projet, et encore moins l’absence complète de consultation en ce qui a trait au nouveau tracé de la ligne. La mesure d’accommodement mise en place par le Québec à ce moment palliait les effets de la construction de la ligne, mais pas les répercussions de celle-ci sur les activités traditionnelles des demandeurs à long terme. Le Québec a mis fin aux discussions en dépit du fait que plusieurs sujets dont les demandeurs souhaitaient parler ont été à peine abordés.

Enfin, la norme de contrôle applicable en l’espèce est la même que celle d’un pourvoi en contrôle judiciaire. Les règles doivent toutefois être modulées afin de tenir compte des aspects particuliers des dossiers de consultation. Avant la délivrance du certificat d’autorisation de la construction, le Québec a décidé qu’il pouvait se fier aux consultations faites par Hydro-Québec, une décision qui est incorrecte et déraisonnable. La décision de mettre fin aux consultations en février 2015 est déraisonnable. La démarche du Québec était insuffisante, tant pour préserver l’honneur de la Couronne que pour concilier les intérêts de la Couronne avec ceux des demandeurs.

Le texte intégral de la décision est disponible ici

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