Summaries Sunday: SOQUIJ
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PÉNAL (DROIT) : Le juge de première instance a erré en permettant que soient introduites en preuve, par l’intermédiaire de déclarations sous serment des victimes d’une fraude massive, des déclarations imputées à des accusés portant sur des faits non secondaires puisqu’il s’agissait d’éléments importants de la preuve incriminante, lesquels auraient été mieux administrés de vive voix.
Intitulé : Péloquin c. R., 2023 QCCA 1233
Juridiction : Cour d’appel (C.A.), Montréal
Décision de : Juges Martin Vauclair, Stéphane Sansfaçon et Peter Kalichman
Date : 2 octobre 2023
Résumé
PÉNAL (DROIT) — procédure pénale — procédure fédérale — procès devant jury — déclaration de culpabilité — fraude — complot — gangstérisme — recyclage de produits de la criminalité — arrêt des procédures — droit d’être jugé dans un délai raisonnable — délai supérieur au plafond présumé — délai institutionnel — circonstances exceptionnelles — mesure transitoire exceptionnelle — complexité de l’affaire — gravité de l’infraction — préjudice subi par l’accusé — directives du juge au jury — suffisances des directives — procès séparé — pouvoir discrétionnaire.
PÉNAL (DROIT) — preuve pénale — administration de la preuve — recevabilité de la preuve — procès devant jury — gestion de l’instance — intervention du juge — pouvoir du juge — pouvoir discrétionnaire — déclaration sous serment — témoin — déclaration pour valoir à titre de témoignage — déclaration extrajudiciaire de l’accusé — contre-interrogatoire — appréciation de la preuve — preuve circonstancielle — inférence tirée de la preuve — crédibilité des témoins — droit à un procès juste et équitable — droit à une défense pleine et entière — directives du juge au jury — suffisance des directives — fraude — complot — gangstérisme — recyclage de produits de la criminalité — déclaration de culpabilité — appel.
PÉNAL (DROIT) — garanties fondamentales du processus pénal — droit à un procès juste et équitable — droit à une défense pleine et entière — droit d’être jugé dans un délai raisonnable — gestion de l’instance — intervention du juge — pouvoir du juge — pouvoir discrétionnaire — administration de la preuve — recevabilité de la preuve — déclaration sous serment — témoin — déclaration pour valoir à titre de témoignage — déclaration extrajudiciaire de l’accusé — arrêt des procédures — délai supérieur au plafond présumé — délai institutionnel — circonstances exceptionnelles — mesure transitoire exceptionnelle — complexité de l’affaire — gravité de l’infraction — préjudice subi par l’accusé — directives du juge au jury — suffisances des directives — appel.
DROITS ET LIBERTÉS — droits judiciaires — vie, sûreté, intégrité et liberté — droit à une défense pleine et entière — procès devant jury — gestion de l’instance — intervention du juge — pouvoir du juge — pouvoir discrétionnaire — administration de la preuve — recevabilité de la preuve — déclaration sous serment — témoin — déclaration pour valoir à titre de témoignage — déclaration extrajudiciaire de l’accusé — contre-interrogatoire — procès séparé — directives du juge au jury — suffisance des directives — appel.
DROITS ET LIBERTÉS — droits judiciaires — personne arrêtée ou détenue — droit d’être jugé dans un délai raisonnable — arrêt des procédures — délai supérieur au plafond présumé — délai institutionnel — circonstances exceptionnelles — mesure transitoire exceptionnelle — complexité de l’affaire — gravité de l’infraction — préjudice subi par l’accusé — directives du juge au jury — suffisances des directives — appel — norme d’intervention — déférence — absence d’erreur.
PÉNAL (DROIT) — détermination de la peine — produits de la criminalité — recyclage des produits de la criminalité — opérations frauduleuses — fraude — stratagème de Ponzi — accusée notaire — compte en fidéicommis — abus de confiance — délai préinculpatoire — conséquences indirectes de la peine — perte d’emploi — perte du droit de pratique — médiatisation — gravité de l’infraction — suggestion de la poursuite — rejet — peine supérieure — omission du juge de donner l’occasion aux parties de faire des observations additionnelles sur la peine — obligation de motiver une décision — suffisance des motifs — principe de la parité des peines — détention — peine concurrente — appel — norme d’intervention — erreur de principe — substitution de la peine.
Appels de déclarations de culpabilité. Rejetés. Requêtes pour permission d’appeler des peines des appelants Jolicoeur et Péloquin. Accueillies. Appels de peines. L’appel de Jolicoeur sur la peine est accueilli en partie et celui de Péloquin est rejeté.
Les appelants ont participé à un stratagème frauduleux à grande échelle qui a duré plusieurs années. Cette fraude a entraîné des pertes d’environ 14,8 millions de dollars pour les nombreux investisseurs qui ont été floués. Au terme d’un procès devant jury ayant duré environ 6 mois, les appelants ont été déclarés coupables sous des chefs de complot, de fraude, de gangstérisme et de recyclage de produits de la criminalité. Des peines d’emprisonnement de durées variables selon les accusés ont également été imposées.
Décision
M. le juge Vauclair:
L’arrêt des procédures en raison de délais déraisonnables
Le délai net entre le dépôt des accusations et la fin de la présentation de la preuve est de 58 mois. Le juge de première instance a noté que les délais institutionnels étaient de 32 mois. Il a conclu que la complexité de l’affaire justifiait un dépassement du plafond en vertu d’une mesure transitoire exceptionnelle. Cette conclusion ne comporte aucune erreur. Par ailleurs, les délais ne justifiaient pas un arrêt des procédures selon R. c. Morin (C.S. Can., 1992-03-26), SOQUIJ AZ-92111050, J.E. 92-517, [1992] 1 R.C.S. 771. Certes, les 32 mois attribuables aux délais institutionnels dépassent largement les balises fixées dans cet arrêt, mais les appelants étaient en liberté. Il est vrai que la matérialisation du préjudice est présumée en raison du long délai, mais l’analyse ne se termine pas là. La gravité des accusations et le préjudice subi sont des variables dans l’application de la mesure transitoire exceptionnelle, ces 2 éléments jouant un rôle décisif dans la détermination du caractère raisonnable du délai. En l’espèce, le délai pour tenir le procès a découlé d’une série de difficultés diverses conjuguées aux problèmes connus du district judiciaire en cause. Cela justifiait la conclusion du juge. Ce moyen d’appel est donc rejeté.
La directive du juge au jury concernant l’infraction de fraude
Le reproche des appelants quant au fait que le juge aurait laissé entendre au jury que le caractère objectivement malhonnête des actes constituant la fraude ne devrait pas présenter un problème lors de leur délibération doit être écarté. Un juge peut donner son opinion sur des faits avec parcimonie et prudence sans se prononcer sur le verdict à venir, et ce, aussi fortement que les circonstances l’exigent, tout en avisant clairement les jurés qu’il s’agit non pas d’une directive, mais d’une opinion qui ne les lie d’aucune manière. C’est précisément ce qu’a fait le juge. Par ailleurs, l’enjeu de l’affaire portait davantage sur la participation subjective des appelants à la fraude que sur le fait qu’ils ne savaient pas que le projet d’investissement était un mensonge.
L’admission de déclarations sous serment des investisseurs
Un juge peut prévenir la répétition de la preuve lorsque les délais sont sur le point de devenir déraisonnables. Il peut alors s’immiscer avec prudence dans les pouvoirs discrétionnaires de la poursuite. Toutefois, cela ne peut se faire au détriment de l’équité et des règles de preuve. La question est encore plus délicate lorsque la preuve vise des déclarations imputées à des accusés, comme en l’espèce, et ne porte pas sur des faits périphériques. Il faut alors des circonstances sérieuses, voire exceptionnelles, pour qu’un juge adopte des mesures qui touchent les prérogatives des parties, leur stratégie ou la conduite du procès. Dans le présent cas, le juge a erré en autorisant la poursuite à introduire en preuve, par le truchement de déclarations sous serment d’investisseurs lésés, des déclarations imputées à des accusés. Il s’agissait d’éléments importants de la preuve incriminante, lesquels sont en principe mieux administrés de vive voix, ce qui permet de contre-interroger les témoins après un témoignage principal non directif. Néanmoins, il n’en a résulté aucun tort important ni aucune erreur judiciaire grave au sens de l’article 686 (1) b) (iii) du Code criminel. En effet, le juge était ouvert à revoir sa décision au cas par cas et à refuser le dépôt d’une déclaration sous serment si les intérêts de la justice le requéraient. Les appelants ne se sont jamais prévalus de ce mécanisme pour pallier tout préjudice individuel que l’un d’eux pouvait anticiper en lien avec un témoin.
Autres moyens d’appel concernant les déclarations de culpabilité
Quant au rejet de la requête de l’appelante Goulet pour procès séparé, elle ne comporte aucune erreur. Par ailleurs, le juge n’a pas erré en ne donnant pas au jury une directive correctrice après la plaidoirie de la poursuite, dans laquelle celle-ci a laissé entendre que l’appelante participait aux activités d’une organisation criminelle alors qu’elle n’était pas accusée de cette infraction. Il n’a pas non plus commis d’erreur en ne dirigeant pas le jury sur la manière d’aborder l’écoute des passages de l’enregistrement d’un témoignage qui compromettaient la crédibilité du témoin en question. Par ailleurs, l’absence de rappel temporel, dans les directives au jury, du moment de la possession des documents saisis chez l’appelante Jolicoeur 2 ans après la fin de sa participation au projet ne constitue pas une erreur révisable. Le juge n’a pas non plus erré en ne récapitulant pas lors de ses directives au jury l’ensemble des éléments de preuve qui avaient une importance particulière pour la défense de l’appelante Jolicoeur. Quant à la plaidoirie finale de la poursuite, elle n’invitait pas le jury à spéculer sur le mobile de Jolicoeur, mais plutôt à tirer des inférences raisonnables.
Appel des peines
L’appelante Jolicoeur, qui a participé à la fraude à titre de notaire et a été condamnée à une peine totale de 3 ans d’emprisonnement, échoue à démontrer que le juge aurait erré en ne tenant pas compte des longs délais préinculpatoires. Ce dernier, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, a jugé que ces délais étaient justifiés, compte tenu de la nature des infractions, de l’étendue de l’enquête et de la complexité de la preuve. Par ailleurs, le juge n’a pas non plus erré en ne prenant pas en considération la perte du droit de pratique notariale subie par Jolicoeur. En effet, l’exercice d’une profession de notaire exige un haut degré de probité. Profiter de ce statut pour commettre un crime constitue un facteur aggravant. La fraude est si grave que la Cour doute que la déchéance personnelle de l’appelante puisse être déterminante. Toutefois, il est vrai que le juge a commis une erreur de principe en omettant de demander des observations additionnelles avant d’imposer une peine plus sévère que celle suggérée par la poursuite sous le chef de recyclage de produits de la criminalité. Il y a donc lieu de substituer une peine de 2 ans à celle imposée par le juge sous ce chef. Quant aux moyens d’appel de la peine totale de 8 ans d’emprisonnement imposée à Péloquin, il y a lieu de les rejeter.
Le texte intégral de la décision est disponible ici
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