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Summaries Sunday: SOQUIJ

Chaque semaine, nous vous présentons un résumé d’une décision d’un tribunal québécois qui nous est fourni par la Société québécoise d’information juridique (SOQUIJ) et ayant un intérêt pancanadien. SOQUIJ relève du ministre de la Justice du Québec, et elle analyse, organise, enrichit et diffuse le droit au Québec.

Every week we present a summary of a decision by a Québec court provided to us by SOQUIJ and selected to be of interest to our readers throughout Canada. SOQUIJ is attached to the Québec Department of Justice and collects, analyzes, enriches, and disseminates legal information in Québec.

L’accusé savait qu’il était séropositif et il a sciemment tu ce fait au plaignant, avec lequel il a eu une relation sexuelle non protégée, contaminant ce dernier, qui, depuis, est devenu séropositif également; reconnu coupable d’agression sexuelle grave, il voit le verdict confirmé en appel.

Intitulé : Wilcox c. R., 2014 QCCA 321
Juridiction : Cour d’appel (C.A.), Montréal, 500-10-005019-110
Décision de : Juges Pierre J. Dalphond et Dominique Bélanger; Allan R. Hilton (diss.)
Date : 20 février 2014

PÉNAL (DROIT) — infraction — infractions de nature sexuelle — agression sexuelle — agression sexuelle grave — relation non protégée — transmission du VIH — plaignant devenu séropositif — rencontre de l’accusé dans un sauna — témoignage d’expert — moeurs établies dans les saunas — recevabilité — crainte raisonnable de partialité — obligation de motiver une décision — suffisance des motifs — crédibilité des témoins — appréciation de la preuve.

PÉNAL (DROIT) — procédure pénale — procédure fédérale — appel — norme d’intervention — agression sexuelle grave — relation non protégée — transmission du VIH — témoignage d’expert — moeurs établies dans les saunas — recevabilité — crainte raisonnable de partialité — obligation de motiver une décision — suffisance des motifs — crédibilité des témoins — appréciation de la preuve.

Appel d’une déclaration de culpabilité. Rejeté, avec dissidence.

L’appelant a été reconnu coupable d’agression sexuelle grave (art. 273 (1) et 273 (2) b) du Code criminel) En septembre 2003, il a su qu’il était séropositif et a continué à avoir une vie sexuelle active. À l’été 2005, il a rencontré le plaignant, qui n’était pas séropositif, dans un sauna public. Ils ont eu une première relation sexuelle protégée. Au cours de l’été, ils se sont revus à la résidence de l’appelant et ont eu une relation sexuelle non protégée. Par la suite, l’appelant a avoué au plaignant qu’il était séropositif, et ce dernier a passé des tests de dépistage, lesquels se sont révélés négatifs en septembre 2005 mais positifs en mai 2006. Alors que le plaignant soutient qu’ils sont restés amis sans avoir d’autres relations sexuelles, l’appelant prétend le contraire et affirme qu’ils ont eu des relations sexuelles protégées et non protégées sur une base régulière jusqu’à l’automne 2005. Le juge de première instance a déterminé que l’appelant ne pouvait se fier au consentement implicite du plaignant, compte tenu du lieu de leur rencontre. Il a conclu que le plaignant n’avait pas donné un consentement clair et non équivoque du fait que l’appelant n’avait pas dénoncé sa séropositivité. Il a retenu le témoignage du plaignant, qui a affirmé qu’il n’avait pas eu une seconde relation sexuelle non protégée lors de sa première rencontre avec l’appelant au sauna et qu’il n’aurait jamais eu de relations sexuelles non protégées avec lui s’il avait su qu’il était séropositif. L’appelant reproche au juge de ne pas avoir retenu le témoignage de son expert. Il soutient que celui-ci a erré en concluant à sa culpabilité avant même d’avoir entendu toute la preuve. Il lui reproche l’insuffisance de ses motifs, soutenant que la décision n’est pas intelligible. Enfin, il soutient que les conclusions de fait tirées par le juge sont inconciliables.

Décision
M. le juge Dalphond, à l’opinion duquel souscrit la juge Bélanger: Dans R. c. Ewanchuk (C.S. Can., 1999-02-25), SOQUIJ AZ-99111015, J.E. 99-543, [1999] 1 R.C.S. 330, la Cour suprême a déterminé les éléments essentiels de l’infraction d’agression sexuelle grave. Quant à l’actus reus, le virus du VIH peut être dévastateur et fatal. Pour ce qui est de la mens rea, outre les éléments de l’infraction d’agression sexuelle, la poursuite doit établir le risque de causer des lésions corporelles. Afin de déterminer si le consentement est vicié par la fraude, la poursuite devait démontrer que l’accusé n’avait pas révélé sa séropositivité (acte malhonnête) et que le plaignant aurait refusé d’avoir une relation sexuelle non protégée si l’accusé l’avait correctement renseigné sur sa séropositivité (privation). Enfin, ainsi que l’enseigne la Cour suprême dans R. c. Cuerrier (C.S. Can., 1998-09-03), SOQUIJ AZ-98111080, J.E. 98-1818, [1998] 2 R.C.S. 371, le consentement du plaignant peut être considéré comme vicié par la fraude s’il est démontré que l’accusé a omis intentionnellement de révéler sa séropositivité et si, en raison de cela, il a exposé le plaignant à un risque réaliste de transmission du VIH. En l’espèce, l’appelant n’avait pas une charge virale faible, il connaissait son état depuis 2003 et c’est délibérément qu’il s’est tu. Son comportement malhonnête a été démontré. Il a aussi choisi de ne rien révéler de son état lors de sa première relation sexuelle non protégée avec le plaignant. Il est vrai que le juge a considéré que la preuve de la défense était plus convaincante que celle du plaignant quant au maintien de leur relation après que l’appelant eut informé ce dernier qu’il était séropositif. Malgré cela, le juge a considéré que le plaignant était crédible lorsqu’il a affirmé qu’il n’aurait jamais eu de relations sexuelles non protégées avec l’appelant s’il avait su qu’il était séropositif. Cette conclusion du juge trouvait appui dans la preuve. En outre, il est acquis que le plaignant n’était pas atteint du VIH malgré ses pratiques sexuelles, dont des rencontres régulières dans des saunas fréquentés par des homosexuels dans le but d’avoir des relations sexuelles. De plus, dès qu’il a connu la séropositivité de l’accusé, il s’est empressé de passer des tests de dépistage. Enfin, les lettres échangées confirment le fait que le plaignant ne cherchait pas à courir ce risque. L’ensemble de la preuve supporte le verdict de culpabilité rendu.

M. le juge Hilton, dissident: 1) Le juge de première instance n’a pas erré en rejetant le témoignage de Rousseau à titre d’expert. Ce dernier a fait des études de sexologie et est directeur général d’un organisme communautaire dont l’un des objectifs est de promouvoir la santé chez les hommes homosexuels et bisexuels ainsi que de prévenir la transmission du VIH. Il a expliqué que le seul fait de fréquenter l’un de ces saunas implique un consentement à des relations sexuelles. Certains participants ne se protègent pas, alors que d’autres le font. Selon lui, ces personnes consentent tacitement au risque d’être infectées par le virus si elles ne se renseignent pas auprès de leurs partenaires de l’instant avant d’avoir des relations sexuelles. Or, ce témoin ne remplit pas les critères établis dans R. c. Mohan (C.S. Can., 1994-05-05), SOQUIJ AZ-94111042, J.E. 94-778, [1994] 2 R.C.S. 9, et c’est à bon droit que le juge de première instance a accueilli l’objection de la poursuite. Le témoin ne pouvait donner une opinion d’expert et son témoignage n’était pas pertinent quant à la conduite respective du plaignant et de l’appelant. L’existence ou non d’un consentement est subjective, et ce témoignage ne pouvait renforcer la crédibilité de l’appelant ni affaiblir celle du plaignant. 2) C’est à tort que l’appelant prétend que le juge avait déjà conclu à sa culpabilité avant même d’avoir entendu toute la preuve. L’expression «all the way through» utilisée par le juge, qui est plus familiarisé avec la langue française, signifiait, dans le contexte, «sur toute la ligne», ce qui exprimait la croyance du juge que la preuve retenue contre l’appelant était accablante. La prétention d’une crainte raisonnable de partialité n’est pas fondée. 3) C’est à tort que l’appelant soutient que le juge de première instance n’a pas suffisamment motivé sa décision et que ses motifs ne sont pas intelligibles. L’appelant, un anglophone, a subi son procès en anglais. Tout indique que le juge comprenait et parlait l’anglais et qu’il était parfaitement capable d’administrer le procès dans cette langue. Cela dit, ce n’est pas l’usage de certains gallicismes dans la rédaction du jugement qui est en cause, mais le caractère intelligible des motifs. Or, le jugement comporte certaines erreurs d’écriture, mais aucune erreur matérielle n’en compromet le résultat. Il est vrai que certaines parties du jugement sont confuses. Le juge fait longuement état de ce qui n’est pas contesté. Toutefois, malgré ses hésitations, il finit par conclure qu’il croit le plaignant lorsque celui-ci affirme qu’il n’aurait pas eu de relations sexuelles non protégées avec l’appelant après avoir appris qu’il était séropositif. Malgré ses faiblesses, le jugement permet de comprendre pourquoi l’appelant a été reconnu coupable. 4) Les conclusions de fait du juge ne sont pas étayées par la preuve. À la lumière de la jurisprudence de la Cour suprême, dont notamment R. c. Dinardo (C.S. Can., 2008-05-09), 2008 CSC 24, SOQUIJ AZ-50490788, J.E. 2008-1022, [2008] 1 R.C.S. 788, il y aurait eu lieu d’accueillir le quatrième moyen d’appel et d’ordonner la tenue d’un nouveau procès.

Instance précédente : Juge Louis A. Legault, C.Q., Chambre criminelle et pénale, Montréal, 500-01-006624-073, 2011-09-12, 2011 QCCQ 11007, SOQUIJ AZ-50788202.

Le texte intégral de la décision est disponible ici.

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