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Summaries Sunday: SOQUIJ

Every week we present the summary of a decision handed down by a Québec court provided to us by SOQUIJ and considered to be of interest to our readers throughout Canada. SOQUIJ is attached to the Québec Department of Justice and collects, analyzes, enriches, and disseminates legal information in Québec.

RESPONSABILITÉ : L’ex-ministre Le Hir a été négligent lors de la rédaction d’un article dans lequel il associe le demandeur, un avocat et promoteur immobilier, à la mafia et au crime organisé, car il n’a effectué aucune démarche ni aucune vérification pour s’assurer de la véracité des sources sur lesquelles il s’appuyait et qui se trouvaient accessibles par voie d’hyperliens dans l’article.

Intitulé : Chiara c. Vigile Québec, 2016 QCCS 5167
Juridiction : Cour supérieure (C.S.), Montréal, 500-17-063802-113
Décision de : Juge Marc Paradis
Date : 27 octobre 2016

RESPONSABILITÉ — atteintes d’ordre personnel — diffamation — propos diffamatoires — atteinte à la réputation — site Internet — avocat — allégation de lien avec la mafia et le crime organisé — obligation de vérification — négligence — responsabilité du diffuseur — solidarité — dommage non pécuniaire.

COMMUNICATIONS — Internet — site Internet — propos diffamatoires — atteinte à la réputation — avocat — allégation de lien avec la mafia et le crime organisé — obligation de vérification — négligence — publication — transcription de l’interrogatoire préalable du demandeur — engagement implicite de confidentialité — solidarité — dommage non pécuniaire.

RESPONSABILITÉ — responsabilité du fait personnel — organisme sans but lucratif — constitution en raison des procédures judiciaires — exploitation du site Internet de l’entité poursuivie — atteinte aux droits du créancier — publication — transcription de l’interrogatoire préalable du demandeur — engagement implicite de confidentialité — dommage non pécuniaire.

DOMMAGE (ÉVALUATION) — dommage moral — propos diffamatoires — atteinte à la réputation — avocat — allégation de lien avec la mafia et le crime organisé — site Internet.

Demande en réclamation de dommages moraux (250 000 $) et de dommages punitifs (250 000 $). Accueillie en partie (30 000 $). Demandes reconventionnelles en réclamation de dommages punitifs et de dommages moraux ainsi qu’en remboursement d’honoraires extrajudiciaires (500 000 $). Rejetées.

Le demandeur, un avocat qui s’est lancé en affaires dans le domaine immobilier, soutient que trois articles, dont l’un rédigé par le défendeur Le Hir, ancien ministre, et les deux autres par le défendeur Frappier, diffusés sur le site Internet de la défenderesse Vigile Québec, laissent entendre qu’il serait associé à la mafia ainsi qu’à des personnes impliquées dans des affaires de corruption et qu’il a pris part à des activités illégales ou est associé à des scandales. Alléguant que ces articles sont diffamatoires à son endroit, le demandeur réclame aux défendeurs 250 000 $ en dommages moraux et 250 000 $ en dommages punitifs. Il demande également qu’ils publient une rétractation et des excuses sur leur site Internet dans les 10 jours suivant le présent jugement. Les défendeurs nient le caractère diffamatoire de ces articles et font valoir le «commentaire loyal». Étant d’avis que le présent recours constitue une poursuite-bâillon, les défendeurs autres que Bernard Frappier et Erick Frappier réclament au demandeur des dommages moraux et punitifs ainsi que le remboursement de leurs honoraires extrajudiciaires, pour un total de 500 000 $. Au début de l’audience, les défendeurs et les demandeurs en intervention forcée se sont désistés de leur demande contre les mises en cause, 3834310 Canada inc. et Cyberpresse inc. Quant au demandeur, il s’est désisté de sa réclamation à l’encontre du défendeur Erick Frappier.

Décision

Toute la facture de l’article de Le Hir, publié le 17 novembre 2010, est de nature à porter atteinte à la réputation du demandeur. D’ailleurs, l’objectif de cet article était de démontrer le risque relatif à la réputation que représentait le demandeur pour Lino Saputo. En outre, cet article relie le demandeur directement à la mafia et au crime organisé par l’entremise du titre, «Les tentacules de la mafia», ainsi que par la référence à l’ouvrage Mafia inc. Le Hir le fait aussi par association en mentionnant que le demandeur avait représenté la famille Caruana, associée à la famille Rizzuto, et en rappelant qu’il est un ex-associé de Cavaliere, bien connu, écrit-il, pour représenter les intérêts de la famille Rizzuto. Or, un citoyen ordinaire estimerait que les propos de Le Hir, pris dans leur ensemble, déconsidèrent la réputation du demandeur. Il en va de même des autres propos qu’il a tenus relativement aux activités illégales de financement pour lesquelles le demandeur aurait prétendument attiré l’attention du Directeur général des élections du Québec, de l’association du demandeur au scandale de la Société d’habitation et développement de Montréal ainsi que de l’association que fait Le Hir entre le demandeur en tant que membre du club des gouverneurs de la Fondation communautaire canadienne-italienne avec certaines autres personnes également membres qui auraient été impliquées dans des affaires de corruption. D’autre part, la preuve révèle que Le Hir n’a effectué aucune démarche ni aucune vérification pour s’assurer de la véracité des sources sur lesquelles il s’est appuyé et qui étaient accessibles par des hyperliens dans son article. En fait, il y a une absence totale de preuve quant à la véracité des propos de Le Hir. Dans ces circonstances, il y a lieu de conclure qu’il a été négligent dans la rédaction de l’article daté du 17 novembre 2010 et qu’il a commis une faute génératrice de responsabilité à l’égard du demandeur. Pour leurs parts, les articles des 10 avril et 31 juillet 2011 rédigés par Frappier, qui réitèrent les présumés liens entre le demandeur et la mafia, sont eux aussi, pour les mêmes raisons, diffamatoires. Frappier a de plus été négligent dans la rédaction de ces deux articles ainsi que dans leur diffusion. En outre, à titre d’éditeur, il a autorisé la diffusion sur le site Internet de commentaires de lecteurs comportant des propos diffamatoires ou injurieux à l’endroit du demandeur. Quant au quantum, bien que l’article de Le Hir ait pu soulever des doutes dans leur esprit, le demandeur a néanmoins conservé l’estime et l’amitié de ses proches, amis, collaborateurs, associés, partenaires financiers et partenaires d’affaires. Néanmoins, la preuve révèle qu’il s’est senti bouleversé, blessé et peiné par l’article de Le Hir. À la lumière de la jurisprudence, une somme de 30 000 $ à titre de dommages moraux représente une juste compensation dans les circonstances. En raison de cette compensation, le tribunal n’entend pas accorder une somme additionnelle pour les propos découlant des articles de Frappier puisque ceux-ci ne font que reprendre en majeure partie les propos de Le Hir. Il en va de même pour le manquement de Frappier à l’engagement implicite de confidentialité relatif à l’interrogatoire au préalable du demandeur. De plus, même si les défendeurs ont été négligents et s’ils ont pu faire montre d’insouciance quant aux conséquences de leurs fautes, la preuve ne démontre pas qu’ils avaient le désir et la volonté de porter atteinte à la réputation du demandeur — qu’ils ne connaissaient d’aucune façon à cette époque — et de causer les conséquences de leur faute. La demande en dommages punitifs est donc rejetée. Frappier est décédé le 19 septembre 2012 et ses successibles ont renoncé à sa succession. L’État, qui a recueilli de plein droit les biens de la succession, n’est pas tenu aux obligations du défunt au-delà de la valeur des biens qu’il recueille. Le ministre du Revenu sera, en conséquence, tenu au paiement des dommages moraux en sa qualité de liquidateur de la succession de Frappier jusqu’à concurrence de la valeur des biens de la succession. Vigile Québec est, quant à elle, responsable des dommages à titre d’exploitante de la plateforme Vigile.net et de diffuseur de l’article de Le Hir sur celle-ci. La Société des Amis de Vigile.net doit, elle aussi, être tenue responsable de ces dommages, car elle a été constituée pour continuer et assurer l’exploitation du site Vigile.net, qui était jusqu’alors exploité par Vigile Québec, dans le principal objectif de faire obstacle à une éventuelle condamnation judiciaire contre cette dernière. La Société participe alors aux agissements de Vigile Québec visant à se départir de ses seuls éléments d’actif tangibles, faisant en sorte qu’elle manque à son obligation de ne pas nuire au demandeur, engageant ainsi sa responsabilité extracontractuelle à son égard (Corp. des maîtres électriciens du Québec c. Clément Jodoin Électrique inc. (C.S., 2000-02-10), SOQUIJ AZ-00021261, J.E. 2000-548). Enfin, il est ordonné à Vigile Québec et à la Société des Amis de Vigile.net de publier le présent jugement au cours des 30 jours suivant sa date, cette publication devant être faite pour une période minimale de 90 jours aux frais des défendeurs sur le site www.vigile.québec ou sur tout autre site exploité par elles dans un espace équivalant à celui de l’article du 17 novembre 2010 et de l’article du 10 avril 2011. Comme le tribunal retient que la présente demande est bien fondée en partie, les demandes reconventionnelles en dommages-intérêts pour abus de droit découlant de l’institution par le demandeur d’une poursuite-bâillon sont rejetées.

Le texte intégral de la décision est disponible ici

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