Summaries Sunday: SOQUIJ
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FAMILLE : Le juge de première instance a erré en concluant que l’appelant, père biologique de l’enfant en cause, pouvait revendiquer une possession d’état; bien que les parties partagent le critère de l’entretien, seul l’intimé satisfait à celui de la commune renommée étant donné que, publiquement, et pendant près de 2 ans, c’est lui qui a été le père de l’enfant et que cet élément de commune renommée est essentiel, la possession d’état se fondant sur les faits et gestes de ceux qui se comportent, subjectivement et de manière vérifiable, comme des parents, au vu et au su de tous.
Intitulé : Droit de la famille — 181478, 2018 QCCA 1120
Juridiction : Cour d’appel (C.A.), Québec, 200-09-009629-178
Décision de : Juges Marie-France Bich et Simon Ruel; Julie Dutil (diss.)
Date : 5 juillet 2018
FAMILLE — filiation — père biologique — réclamation d’état — relation clandestine avec la mère de l’enfant — entretien — traitement — commune renommée — possession d’état — critères essentiels.
Appel d’un jugement de la Cour supérieure ayant rejeté une demande de déclaration de paternité. Rejeté, avec dissidence.
L’appelant et l’intimé revendiquent tous deux la paternité d’un enfant de 3 ans. Or, l’enfant a une mère et, selon le droit québécois actuel, un enfant ne peut avoir que 2 parents. L’intimé assure l’entretien de celui-ci depuis sa naissance, à titre de père, et il a été publiquement reconnu comme tel pendant une période de 22 mois dans le contexte d’une garde partagée avec la mère. Il a ensuite appris avec stupéfaction qu’il n’était pas le père biologique, mais il considérait toujours l’enfant comme son fils.
Décision
M. le juge Ruel, à l’opinion duquel souscrit la juge Bich: L’appelant a appris qu’il était le père biologique 4 mois après la naissance. Graduellement, il a assuré un entretien partiel de l’enfant, durant le temps de garde de la mère et à l’insu de l’intimé. À part dans le cercle restreint de sa famille immédiate, il a gardé la chose secrète pendant 1 an 1/2, puis il a déposé une demande en contestation d’état et en réclamation de paternité. Le juge de première instance a conclu que les 2 hommes pouvaient revendiquer une possession d’état à l’endroit de l’enfant mais que l’acte de naissance de ce dernier, indiquant l’intimé à titre de père, devait primer.
Selon l’article 530 du Code civil du Québec (C.C.Q.), nul ne peut contester l’état de celui qui a une possession d’état conforme à son acte de naissance. Lorsque l’acte de naissance et la possession constante d’état (entre 16 et 24 mois) concordent, il n’est plus possible de contester la filiation. La possession d’état se constate par l’existence d’un faisceau convergent de faits établissant qu’un enfant est traité et élevé comme tel par ses parents. Le traitement et la commune renommée constituent des critères essentiels à cet égard.
L’appelant avait le fardeau de prouver que l’intimé ne pouvait revendiquer une possession d’état de filiation à l’endroit de l’enfant en vue de pouvoir établir sa propre paternité par preuve d’ADN. Il ne s’est pas acquitté de ce fardeau. Il a laissé le temps s’écouler alors que se cristallisaient le milieu familial et la filiation de l’enfant auprès de l’intimé.
Le juge a erré en concluant que l’appelant pouvait revendiquer une possession d’état. Bien que les parties partagent le critère de l’entretien, seul l’intimé satisfait à celui de la commune renommée. Publiquement, et pendant près de 2 ans, c’est l’intimé qui a été le père de l’enfant. Cet élément de commune renommée est essentiel puisque la possession d’état se fonde sur les faits et gestes de ceux qui se comportent, subjectivement et de manière vérifiable, comme des parents, au vu et au su de tous. Il en va de la préservation de la stabilité des milieux familiaux et, surtout, des enfants.
Mme la juge Dutil: Certains éléments supplémentaires doivent être pris en considération. Notamment, l’appelant a fait une visite à l’hôpital, lors de la naissance de l’enfant, en 2015, et ce, à l’invitation de la mère, qui entretenait avec lui une relation amoureuse. Lorsqu’elle est sortie de l’hôpital, la mère a repris la vie commune avec l’intimé. Après 3 mois, la séparation du couple est survenue, et la mère a immédiatement repris sa relation avec l’appelant. Le résultat du test de paternité réalisé par l’appelant après que sa mère eut remarqué la ressemblance de l’enfant avec ses 3 autres fils a été connu dès le 23 septembre 2015. La mère refusait catégoriquement que les résultats du test soient communiqués à l’intimé. L’appelant explique avoir consenti à garder le secret parce qu’il respecte la mère et qu’il désirait qu’elle reste avec lui. Il s’occupait de l’enfant pendant la semaine au cours de laquelle celle-ci en avait la garde. Il le présentait comme son fils à son entourage, à ville A. Lui et la mère se sont séparés après plus de 1 an de vie commune. Par la suite, il a continué à s’occuper de l’enfant pendant les périodes de garde de la mère, laquelle n’était pas en mesure de le faire.
Les conclusions factuelles du juge de première instance sont exemptes d’une erreur manifeste et déterminante qui, seule, permettrait l’intervention de la Cour. Le juge a bien saisi que du point de vue de l’enfant, âgé de 3 à 21 mois pendant la possession d’état simultanée, il y avait 2 milieux de vie tout à fait distincts. Dans chacun d’eux, l’appelant et l’intimé agissaient pendant la même période, aux yeux de tous, comme le père de l’enfant. Pour faire échec à la réalité biologique, la possession d’état doit être non équivoque en plus d’être accompagnée de l’acte de naissance (art. 530 C.C.Q.). Or, en l’espèce, le juge a conclu que tant l’appelant que l’intimé avaient démontré que l’enfant était entretenu, éduqué et traité comme s’il s’agissait du leur (tractus) et qu’il était notoirement reconnu comme leur fils (fama). Cette constatation factuelle du juge ne pouvait toutefois pas le mener à sa conclusion en droit. En effet, l’erreur du juge est d’avoir accepté qu’il y ait eu une possession d’état constante de l’intimé lui permettant d’appliquer l’article 530 C.C.Q. pour faire échec à la filiation biologique. La possession d’état doit présenter une certaine exclusivité pendant la période de 16 à 24 mois établie par les tribunaux. En l’espèce, elle était équivoque et ne pouvait servir à établir la filiation de l’enfant. Lorsque la possession d’état n’est pas exclusive, comme en l’espèce, le tribunal doit favoriser le lien biologique qui unit l’enfant à son père pour établir la filiation par le sang.
Le texte intégral de la décision est disponible ici
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