Summaries Sunday: SOQUIJ
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PROCÉDURE CIVILE : Les administratrices de la page «Dis son nom» doivent transmettre au demandeur l’identité de ses victimes alléguées ainsi que les communications échangées avec celles-ci; de plus, la défenderesse A.A. devra utiliser sa véritable identité dans le cadre des procédures entreprises par le demandeur à la suite de la publication de son nom sur la liste des «abuseurs présumés».
Intitulé : Marquis c. Doe, 2021 QCCS 657
Juridiction : Cour supérieure (C.S.), Montréal
Décision de : Juge Katheryne A. Desfossés
Date : 26 février 2021
PROCÉDURE CIVILE — dispositions générales — publicité des audiences — caractère public de l’audience — recours en diffamation — défenderesse ayant publié une liste d’«abuseurs présumés» — média social — Facebook — demandeur accusé d’avoir agressé un tiers — droit de la défenderesse à l’anonymat — victime d’agression sexuelle — choix de raconter ses agressions en détail dans la défense.
PROCÉDURE CIVILE — administration de la preuve — interrogatoire préalable — interrogatoire après défense — recours en diffamation — demandeur accusé d’avoir agressé un tiers — média social — Facebook — page Facebook comportant une liste d’«abuseurs présumés» — engagement — communication de documents — identité des victimes alléguées — communications échangées avec les victimes alléguées — communications échangées avec les personnes qui se sont retirées de l’administration de la page Facebook — identité des personnes ayant pris connaissance de toute dénonciation contre le demandeur — ordonnance — réponse à la question relative à l’obtention d’une opinion juridique quant à la légalité de la démarche.
PROCÉDURE CIVILE — moyens préliminaires — autres moyens préliminaires (NCPC) — radiation d’allégations — allégations exprimant des statistiques, des opinions ou des arguments.
Demande d’anonymat dans le cadre des procédures. Rejetée. Demande en radiation d’allégations, en communication de documents et sur objection. Accueillie en partie.
À l’été 2020, la page Facebook «Dis son nom» (DSN), créée dans la foulée du mouvement «#MeToo», a publié une liste d’«abuseurs présumés» sur laquelle se trouvait le nom du demandeur. Celui-ci poursuit DSN et ses administratrices Bergeron et A.A. afin que la liste soit retirée et que ces dernières soient condamnées à lui payer 50 000 $ en dommages moraux et punitifs.
À ce stade, 3 questions sont soumises à la Cour. Premièrement, il y a lieu de déterminer si A.A. a le droit de conserver l’anonymat dans le cadre des présentes procédures. A.A. est la fondatrice de DSN et a elle-même été victime d’agression sexuelle à 2 occasions, lesquelles sont relatées dans sa défense. Afin de justifier sa demande, qui lui permettrait de conserver son anonymat dans le cadre des procédures de l’instance — notamment en l’autorisant à signer celles-ci sous les initiales A.A. et en ordonnant la non-divulgation et la non-publication permanentes de son nom ainsi que de tout élément qui pourrait permettre de découvrir son identité —, elle affirme qu’elle connaît les stigmates liés au statut de victime d’agression sexuelle, qu’elle entame son processus de guérison et qu’elle ne se sent pas assez forte en ce moment pour agir de manière publique. Deuxièmement, il faut décider si certains paragraphes de la défense doivent être radiés, le demandeur étant d’avis qu’ils ne contiennent pas d’allégations de fait, qu’il s’agit d’opinions ou que les allégations ne sont pas pertinentes. Troisièmement, la Cour doit statuer quant à la transmission des préengagements demandés et sur la possibilité de poser certaines questions aux défenderesses lors de leurs interrogatoires au préalable. Or, ces dernières s’y opposent, invoquant un intérêt légitime important, la confidentialité des informations, le privilège relatif au litige et le secret professionnel.
Décision
A.A. devra continuer les procédures dans la présente instance sous son nom. En l’absence d’une exception expresse à la règle de la publicité des débats judiciaires, le statut de présumée victime d’agression sexuelle ne confère pas un droit automatique à l’anonymat en matière civile. Par ailleurs, s’il est vrai que les tribunaux appliquent parfois l’exception à la règle de la publicité des débats judiciaires à des victimes d’agressions sexuelles qui poursuivent leurs agresseurs, le demandeur est, dans cette affaire, un tiers par rapport à A.A. Enfin, le fait que cette dernière ait elle-même été victime d’agressions sexuelles ne lui donne pas un droit à l’anonymat en l’espèce. Sa défense raconte certes le récit des agressions dont elle a été victime, mais permettre que son choix de raconter son récit en détail lui confère un droit à l’anonymat, particulièrement alors que ce récit n’était pas nécessaire à sa défense, équivaudrait à inverser l’ordre des choses. Cela reviendrait à accorder un droit à l’anonymat ex post facto en permettant que la stratégie de défense adoptée puisse créer la situation qui justifie son anonymat. En optant pour le chemin qui publicise volontairement et sciemment à grande échelle sa situation et celles d’autres victimes, A.A. doit agir à visière levée.
Certains paragraphes de la défense devront être radiés. La défense doit comporter un ou des paragraphes alléguant que la publication de la liste est d’intérêt public en raison du contexte social dans lequel elle s’inscrit. Elle ne doit pas citer des documents, comme de la jurisprudence ou des articles de journaux, qui rapportent des opinions et doivent être communiqués comme tel. Par ailleurs, alors que seules les allégations de fait sont permises au soutien d’une procédure, sauf en cas d’exception, il y a lieu de radier en l’espèce les allégations exprimant des statistiques, des opinions ou des arguments.
Les défenderesses devront transmettre au demandeur l’identité de ses victimes alléguées ainsi que les communications qu’elles ont échangées avec celles-ci. Il s’agit d’informations pertinentes relativement au litige, d’autant plus que leur avocate a confirmé qu’elles avaient l’intention de démontrer la véracité des reproches visant le demandeur. De plus, les défenderesses n’ont pas démontré que leurs communications avec les victimes, de même que l’identité de ces dernières, seraient protégées par quelque privilège que ce soit. Quant à l’intérêt légitime dont il est question à l’article 228 du Code de procédure civile, en supposant qu’il puisse exister en dépit des conclusions de la Cour quant à l’absence d’un privilège, cet intérêt appartient aux victimes alléguées. Il s’agit d’un droit personnel incessible que seule chacune des victimes alléguées peut invoquer. Enfin, étant donné que les défenderesses entendent précisément démontrer la véracité des reproches formulés contre le demandeur, il est évident que ce dernier doit savoir qui lui reproche quel geste. Lui refuser cette information équivaudrait à le priver de son droit de répondre à la défense.
Les défenderesses devront également communiquer au demandeur les échanges entre elles et les personnes qui se sont retirées de l’administration de DSN, dans la mesure où ces échanges ne sont pas couverts par le privilège relatif au litige et qu’ils sont liés au fonctionnement de DSN, l’identité de la ou des personnes chez DSN ayant pris connaissance de toute dénonciation relative à lui de même que les dénonciations reçues jusqu’au mois d’août 2020, en caviardant les noms des victimes alléguées et des personnes dénoncées, mais non comprises dans la liste. Enfin, les défenderesses devront dire si elles ont obtenu une opinion juridique relativement à la légalité de leur démarche.
Le texte de la décision est disponible ici
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