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RESPONSABILITÉ : Lors de la soirée électorale du 4 septembre 2012 s’étant soldée par un attentat au Métropolis, la Sûreté du Québec et le Service de police de la Ville de Montréal ont manqué à leur obligation d’assurer la sécurité du public en exécutant un plan de sécurité qui n’offrait aucune protection policière à l’arrière de cette salle, soit l’endroit d’où devait sortir la nouvelle première ministre du Québec.
Intitulé : Parisien c. Procureur général du Québec, 2022 QCCS 4483
Juridiction : Cour supérieure (C.S.), Montréal
Décision de : Juge Philippe Bélanger
Date : 30 novembre 2022
Résumé
RESPONSABILITÉ — responsabilité de l’État — procureur général du Québec — Sûreté du Québec — policier — attentat — soirée électorale — Métropolis — élaboration — plan de sécurité — service de police municipal — collaboration — obligation de prudence et de diligence — obligation de moyens — sécurité du public — présence policière — périmètre de sécurité — contexte social — insouciance — risque inhérent — violence — prévisibilité raisonnable — faute d’omission — lien de causalité — fardeau de la preuve — faute commune — partage de responsabilité — solidarité — prescription extinctive — dommage non pécuniaire — dommages-intérêts.
MUNICIPAL (DROIT) — responsabilité — service de police — attentat — soirée électorale — Métropolis — élaboration — plan de sécurité — Sûreté du Québec — collaboration — obligation de prudence et de diligence — obligation de moyens — sécurité du public — présence policière — périmètre de sécurité — contexte social — insouciance — risque inhérent — violence — prévisibilité raisonnable — faute d’omission — lien de causalité — fardeau de la preuve — faute commune — partage de responsabilité — solidarité — prescription extinctive — interprétation de l’article 2930 C.C.Q. — inapplicabilité de l’article 586 de la Loi sur les cités et villes — dommage non pécuniaire — dommages-intérêts.
OBLIGATIONS — modalités — solidarité — recours en dommages-intérêts — responsabilité extracontractuelle — commettant — procureur général du Québec — Sûreté du Québec — municipalité — service de police — attentat — soirée électorale — Métropolis — élaboration — plan de sécurité — faute d’omission — faute commune — partage de responsabilité — dommage non pécuniaire — dommages-intérêts.
PRESCRIPTION EXTINCTIVE — délai — recours en dommages-intérêts — Sûreté du Québec — responsabilité municipale — service de police — interprétation de l’article 2930 C.C.Q. — interprétation large et libérale — préjudice corporel — atteinte à l’intégrité physique — traumatisme psychologique — survivant — attentat — décès d’un ami — proximité physique — prescription triennale — point de départ du calcul du délai.
PRESCRIPTION EXTINCTIVE — suspension — interprétation de «impossibilité d’agir» (art. 2904 C.C.Q.) — recours en dommages-intérêts — attentat — responsabilité municipale — service de police — Sûreté du Québec — preuve d’expert — force probante — point de départ du calcul du délai — connaissance des faits générateurs de droit — trouble de stress post-traumatique — fardeau de la preuve.
DOMMAGE (ÉVALUATION) — dommage moral — attentat — victime d’une tentative de meurtre — trouble de stress post-traumatique — troubles psychologiques — condition préexistante — revue de la jurisprudence.
DOMMAGE (ÉVALUATION) — dommage exemplaire ou dommage punitif — Charte des droits et libertés de la personne — atteinte à l’intégrité de la personne — attentat — victime d’une tentative de meurtre — Sûreté du Québec — service de police municipal — soirée électorale — Métropolis — élaboration — plan de sécurité — faute d’omission — absence de faute intentionnelle — bonne foi.
Demande en réclamation de dommages non pécuniaires (700 000 $), de dommages-intérêts (20 699 $) et de dommages punitifs (120 000 $). Accueillie en partie.
Lors de la soirée électorale du 4 septembre 2012, tandis que les demandeurs, tous des techniciens de scène, attendaient à l’arrière du Métropolis la fin du discours couronnant la victoire de Pauline Marois pour commencer leur quart de travail, Bain s’est présenté à quelques mètres d’eux vêtu d’une robe de chambre, coiffé d’une cagoule et muni d’une arme semi-automatique à répétition. Par miracle, il n’a réussi à tirer que 1 seule balle avant que son arme ne s’enraye. Avec cette seule balle, Bain a atteint mortellement Blanchette et blessé grièvement Courage, 2 amis et collègues des demandeurs. Ces derniers soutiennent avoir souffert d’un trouble de stress post-traumatique (TSPT) et d’autres troubles psychologiques dans les années ayant suivi cet événement. Les demandeurs reprochent aux corps de police en cause d’avoir failli à leur mission de veiller à leur sécurité en omettant de mettre en place les mesures et l’effectif qui auraient permis d’éviter cette tragédie. Ils demandent donc que le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) et la Sûreté du Québec (SQ) soit condamnés solidairement à les indemniser pour les dommages qu’ils ont subis en lien avec cet attentat. Ces derniers prétendent notamment que le recours des demandeurs intenté en octobre 2015 est prescrit.
Décision
La SQ et le SPVM ont commis une faute en n’assurant aucune présence policière et en n’établissant aucun périmètre de sécurité à l’arrière du Métropolis. En raison d’un manque de communication et de coordination dans le déploiement de leurs effectifs respectifs, ils ont manqué à leur obligation de veiller à la sécurité du public, en l’occurrence celle des demandeurs, en exécutant un plan de sécurité qui n’assurait aucune protection policière à l’endroit même où devait sortir la nouvelle première ministre du Québec à la suite de son discours. Or, les risques de violence à l’arrière du Métropolis à la fin de la soirée étaient prévisibles pour des policiers normalement prudents et compétents placés dans les mêmes circonstances que ceux du SPVM et de la SQ. En l’espèce, la faute d’omission des forces de l’ordre a entraîné une faille dans leur plan de sécurité, et Bain a profité de celle-ci pour passer à l’acte. N’eût été cette faille, il est raisonnable de penser que ce dernier aurait probablement été dissuadé de poursuivre son projet ou appréhendé et mis hors d’état de nuire avant qu’il n’ouvre le feu en direction des demandeurs. Il y a donc lieu de conclure à l’existence d’un lien direct et immédiat entre la faute d’omission de la SQ ainsi que du SPVM et les dommages réclamés (art. 1607 du Code civil du Québec (C.C.Q.)).
L’article 1526 C.C.Q., encadre la responsabilité solidaire en matière de fautes extracontractuelles. Cette disposition, qui vise tant les fautes communes que contributoires dès qu’elles causent un préjudice unique, s’applique en l’espèce. En effet, la SQ et le SPVM ont manqué ensemble à leur devoir de protéger le public, de sorte que leur faute peut se qualifier de commune, et celle-ci a causé à chaque demandeur un préjudice unique au sens de l’article 1526 C.C.Q. Il en résulte que le partage de la responsabilité entre les 2 défendeurs se fait sur une base identique.
L’article 586 de la Loi sur les cités et villes prévoit un délai de prescription qui fait exception à l’application de la prescription triennale pour un recours en dommages-intérêts (art. 2925 C.C.Q.) contre une municipalité; ce recours doit être intenté dans les 6 mois suivant le jour auquel le droit d’action a pris naissance. L’article 2930 C.C.Q. fait toutefois échec à cette courte prescription lorsque l’action contre la municipalité «est fondée sur l’obligation de réparer le préjudice corporel causé à autrui». Il est bien établi que cette disposition s’applique à un demandeur qui démontre un préjudice de nature corporelle, ou encore un préjudice pouvant être autrement rattaché à une atteinte initiale de cette nature. Si l’atteinte fautive initiale est de nature corporelle, toutes les victimes qui en subissent les conséquences doivent pouvoir profiter de l’interprétation large de l’article 2930 C.C.Q. et du même délai de prescription. Dans le présent cas, la preuve d’expert révèle que les demandeurs ont tous souffert d’un TSPT. Les dommages d’ordre psychologique qu’ils ont subis constituent la conséquence d’une menace grave et directe à leur intégrité physique occasionnée par des gestes d’une rare violence commis à leur égard. Les dommages des demandeurs découlent d’une atteinte à leur intégrité physique et constituent un préjudice corporel couvert par l’article 2930 C.C.Q. Au surplus, le recours de chacun d’entre eux est fondé sur l’obligation du SPVM de réparer le préjudice corporel causé à Blanchette et à Courage, dont leurs dommages sont indissociables (Montréal (Ville de) c. Tarquini (C.A., 2001-05-07), SOQUIJ AZ-50086070, J.E. 2001-1271, [2001] R.J.Q. 1405, [2001] R.R.A. 624 (rés.), et Montréal (Ville) c. Dorval (C.S. Can., 2017-10-13), 2017 CSC 48, SOQUIJ AZ-51432375, 2017EXP-2859, [2017] 2 R.C.S. 250). Cette conclusion repose sur les faits précis mis en preuve, y compris le rare contexte de violence mortelle, la proximité physique des demandeurs lors de l’attentat, le fait qu’ils en ont été eux-mêmes l’objet en plus de connaître les personnes touchées ainsi que les effets objectivement graves de l’événement sur leur santé mentale. Trois des demandeurs, qui sont joints au recours le 21 octobre 2015, étaient dans l’impossibilité d’agir au sens de l’article 2904 C.C.Q. en raison du TSPT qu’ils ont subi par la faute des défendeurs. Le recours de ces demandeurs n’est pas prescrit.
Quant au quantum, il ne fait aucun doute que les demandeurs ont subi et continuent de subir des préjudices substantiels découlant de l’horreur qu’ils ont côtoyée à la fin de la soirée du 4 septembre 2012. Le cours même de leur existence ainsi que leur capacité d’être heureux et de profiter de la vie ont été irrémédiablement altérés par l’attentat qu’ils ont vécu ce soir-là. Les préjudices subis par chacun des demandeurs excèdent ceux liés à leur TSPT. Le fait qu’ils souffrent depuis maintenant plus de 10 ans constitue une considération particulièrement importante pour le tribunal. Par contre, celui-ci doit prendre en considération la condition antérieure des demandeurs, lesquels éprouvaient déjà certains troubles psychologiques dont la SQ et le SPVM ne sauraient être tenus responsables. À la lumière de l’ensemble de la preuve, des balises établies par la jurisprudence et des approches conceptuelle, personnelle et fonctionnelle applicables, chacun des demandeurs a droit à une indemnité de 70 000 $ à titre de dommages non pécuniaires. D’autre part, bien qu’ils aient chacun participé à des séances de thérapie ou d’hypnose à la suite des événements du Métropolis, ils n’ont produit aucune facture détaillée. Dans ces circonstances, il y a lieu de réduire de 50 % les frais engagés pour ces séances, ce qui représente 2 800 $ pour Parisien, Dulong-Bérubé et Dubé et 2 190 $ pour Ghiringhelli. Ce dernier a également droit à 491 $ pour des médicaments.
En ce qui concerne la réclamation de dommages punitifs, elle est rejetée puisque la SQ et le SPVM n’ont pas commis une faute intentionnelle, contrairement à ce qu’exige l’article 49 de la Charte des droits et libertés de la personne. Il n’y a pas lieu non plus de remettre en question la bonne foi de leurs agents ni de qualifier de lourde ou d’extrême leur négligence dans l’élaboration et l’exécution du plan de sécurité le soir en question.
Le texte intégral de la décision est disponible ici
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