Qu’est-Ce Qu’un Écrit?

Le présent billet est très clairement inspiré par celui de Dominic Jaar, posté hier soir, et s’intitulant “Records, Documents or Data” faisant état des différences de perception et de définition entre des concepts voisins. J’aimerai aussi faire état de «drôleries» très canadiennes ou plutôt presqu’incontournables dès que l’on doit user de différents palliers de gouvernements avec des compétences qui se superposent; le tout, pour ne rien arranger, avec 9 provinces de common law et une de droit civil.

Parmi les incongruïtés qu’il est possible de déceler, il en est une que je «traque» depuis bientôt quinze ans et qui concerne l’écrit électronique. L’écrit électronique demanda bien évidemment de repenser ce qu’est l’écrit, ce qui ne fut quasiment jamais fait. En effet, pourquoi tenter de définir ce qui ne pose pas ou peu de problèmes. L’électronisation changea à cet égard la donne; plus même: ce fut le premier exercice des travaux de la CNUDCI que de tenter de le décortiquer.

La Loi modèle sur le commerce électronique y est parvenu avec une définition presque unanimement reprise au Canada qui veut qu’un écrit est satisfait dès lors qu’il autorise une «consultation ultérieure» ou “accessible so as to be usable for subsequent reference“.

Ce fut le cas en Alberta (article 11), en Colombie-Britannique (article 6), à l’Île du Prince Édouard (article 7) , au Nouveau-Brunswick (article 7) , en Nouvelle-Écosse (article 8), en Ontario (article 6), au Saskatchewan (article 9), à Terre-Neuve (article 8) et même au Yukon (article 7) Il semble y avoir seulement l’Île du Prince Édouard qui n’ait pas défini ce concept.

Mais le Québec a fait cavalier seul et préféra développer le concept phare d’intégrité en établissant, par la Loi concernant le cadre juridique des technologies de l’information, dans le Code civil lui-même ce qui suit:

2837. L’écrit est un moyen de preuve quel que soit le support du document, à moins que la loi n’exige l’emploi d’un support ou d’une technologie spécifique.

Lorsque le support de l’écrit fait appel aux technologies de l’information, l’écrit est qualifié de document technologique au sens de la Loi concernant le cadre juridique des technologiques de l’information.

2838. Outre les autres exigences de la loi, il est nécessaire, pour que la copie d’une loi, l’acte authentique, l’acte semi-authentique ou l’acte sous seing privé établi sur un support faisant appel aux technologies de l’information fasse preuve au même titre qu’un document de même nature établi sur support papier, que son intégrité soit assurée.

Cette différence est-elle un problème? En tous les cas, les normes dans le domaine des valeurs mobilières sont parvenues à un accord par le biais de l’Avis 11-201 relatif à la transmission de documents par voie électronique. Ce document, en effet ne tranche pas; il cumule, à l’article 4.2:

« 1) Les formulaires de procuration, les procurations et les instructions de vote en format électronique (y compris un format électronique avec utilisation du téléphone) satisferont les obligations de consignation par écrit si le format employé
a) garantit l’intégrité de l’information contenue dans les formulaires de procuration et les procurations;
b) permet au destinataire de conserver l’information pour consultation future. »

Pourtant, ces deux critères ne se matérialisent pas avec les mêmes procédés ce qui fait que l’écrit en ce domaine est un « super écrit » demandant davantage pour sa réalisation. Cette situation à la « normande » constitue un bel exemple de conciliation dans un pays de droit mixte.

Comments

  1. Bien que je salues la Loi concernant le cadre juridique des technologies de l’information, je ne peux que constater à quel point elle manque de clareté. En fait, si ce n’était que de ce manque, je ne commenterais pas. Par contre, à la lecture de ce billet, j’ai eu la chance de relire pour une énième fois l’article 2837. Cette relecture me chatouille touours autant quand je lis: “le support du document”. Le document n’est-il pas le support de l’écrit?! C’est sans doute la raison pour laquelle quand je lis l’article 3 de cette loi, je demeure avec cette éternelle question: qu’est-ce qu’un document si “Un document est constitué d’information portée par un support.” Hormis le support et l’information, qu’y a-t-il d’autre? Un document me direz-vous? Est-ce à dire qu’un support sans information n’est pas un document? Qu’en est-il d’une feuille de papier?

    Pourquoi lit-on : “Les documents sur des supports faisant appel aux technologies de l’information visées au paragraphe 2° de l’article 1 sont qualifiés dans la présente loi de documents technologiques.”? Ne devrait-on pas remplacer le premier “document” par information?

    2 articles par jour, c’est suffisant pour assurer la survie de Tylenol…

  2. C’est vrai que l’étude de ladite loi n’est pas aisée; pas exactement la situation de Stendhal relisant le code civil, comme un exemple de concision…

    Il me semble que le document est effectivement cette association des deux composantes que sont support et information. (voir http://www.services.gouv.qc.ca/fr/enligne/loi_ti/glossaire/g050.asp) Si l’un manque, le document n’existe pas. La feuille de papier vierge n’est donc sans doute pas un document. Une sorte de relation symbiotique.

    Pour complexifier le tout, la traduction anglaise de «support du document» est “medium”, tout comme «support» = “medium”.

    L’écrit lui est à un autre niveau: c’est un concept juridique auquel on attache des conséquences de preuve ou de forme. 2837 cherche seulement à dissocier «papier» et «écrit».

    Pour 3 al. 3, j’imagine que «les documents DONT le support fait appel» serait plus approprié.

    Cela dit, c’est assurément un texte qui demande une dose d’humilité.

  3. La loi ontarienne sur l’interprétation définit l’écrit comme suit:

    «écrit» S’entend notamment de mots représentés ou reproduits sous une forme visible et notamment imprimés, peints, gravés, lithographiés et photographiés. La présente définition s’applique à tout terme de sens analogue.

    Dans la loi sur la législation, projet de loi 14 annexe F, qui remplacera la Loi sur l’interprétation, on laisse tomber la définition. On a décidé (au niveau de la fonction publique au moins – l’Assemblée ne s’est pas encore exprimeé de façon finale) que la définition n’était plus exacte et on devrait laisser au monde ou au tribunaux de décider ce que c’est que l’écrit de nos jours.

    On tend à croire que l’écrit peut comprendre un texte sur support électronique. Il faudrait dire que la Loi sur le commerce électronique est conçue dans les sens contraire, pour distinguer entre l’écrit d’un bord et de l’électronique de l’autre. Mais on évolue…

    La Loi uniforme sur le commerce électronique parle de document électronique sans se soucier d’une définition. Pour les rédacteurs de ce texte, on savait ce que c’était qu’un document. En cela on rejoindrait le sens de la loi du Québec – information + support = document. Un document doit avoir un commencement et une fin – ce qui n’est pas le cas forcément de l’information. Ce serait le support qui est fini, qui donne les limites au document.

    L’intégrité n’est pas un critère de la Loi uniforme parce qu’elle peut être passagère. C’est pourquoi cette loi se limite à une durée indéterminée (pour la consultation ultérieure, sans préciser à quelle distance dans l’ultériorité…) Comme on peut détruire un document sur papier à n’importe quel moment, on n’a pas voulu imposer des normes plus exigeantes sur les documents électroniques que sur les documents sur papier, soit les écrits traditionnels.

    L’intégrite joue son rôle dans la Loi uniforme comme dans la Loi type de la CNUDCI en appuyant l’équivalence électronique d’un document ‘original’. C’est là un autre débat, peut-être.

    Il est certain que l’électronique nous oblige de revoir le fond de choses qu’on croyait comprendre, avant …

  4. At least John, and after 10 years, I received an answer concerning the choice of “subsequent reference” criteria. Thanks for that. But I’m not sure to prefer the uncitral and canadian (without Quebec) position for 2 reasons (and perhaps more).

    1) Integrity is already a criteria used for paper evidence (even if judge often used the term of “authenticity”)

    2) I see no problem to have some more heavy rules for electronic documents compare to paper ones. In many circumstances, paper could be more reliable as electronic document with no specific protection (like an email).

    As you see, I don’t subscribe to the necessity of uniform rules for the two mediums. Technological neutrality doesn’t means that both ways of communication are the same.

    John, I think we began this discussion in … 1994.