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Summaries Sunday: SOQUIJ

Chaque semaine, nous vous présentons un résumé d’une décision d’un tribunal québécois qui nous est fourni par la Société québécoise d’information juridique (SOQUIJ) et ayant un intérêt pancanadien. SOQUIJ relève du ministre de la Justice du Québec, et elle analyse, organise, enrichit et diffuse le droit au Québec.

Every week we present a summary of a decision by a Québec court provided to us by SOQUIJ and selected to be of interest to our readers throughout Canada. SOQUIJ is attached to the Québec Department of Justice and collects, analyzes, enriches, and disseminates legal information in Québec.

Responsabilité de l’État : La condamnation du procureur général du Canada à verser des dommages-intérêts de plus de cinq millions de dollars à Réjean Hinse, victime d’une erreur judiciaire, est annulée.

Intitulé : Canada (Procureur général) c. Hinse, 2013 QCCA 1513
Juridiction : Cour d’appel (C.A.), Montréal, 500-09-021656-111
Décision de : Juges François Pelletier, Marie-France Bich et Jean Bouchard
Date : 11 septembre 2013

RESPONSABILITÉ — responsabilité de l’État — procureur général du Canada — arrestation, accusation et condamnation injustifiées — vol à main armée — acquittement — faute d’omission — indifférence institutionnelle — immunité relative — prérogative royale de clémence — pouvoir de révision — erreur judiciaire — pouvoir discrétionnaire — absence de mauvaise foi — absence de faute illicite et intentionnelle — dommages-intérêts.

CONSTITUTIONNEL (DROIT) — institution constitutionnelle — gouvernement du Canada — gouverneur en conseil — prérogative royale de clémence — ministre de la Justice — pouvoir de révision — erreur judiciaire — pouvoir discrétionnaire — responsabilité de l’État — absence de mauvaise foi — absence de faute illicite et intentionnelle — dommages-intérêts.

Appel d’un jugement de la Cour supérieure ayant accueilli en partie une requête en réclamation de dommages-intérêts ainsi qu’en remboursement d’honoraires extrajudiciaires (5 795 229 $). Accueilli.

En 1961, l’intimé faisait le commerce de voitures d’occasion pour se procurer un revenu d’appoint. À son insu, il a vendu un véhicule à un individu faisant partie d’un groupe qui s’apprêtait à commettre un vol à main armée. Il a par la suite été victime d’une erreur judiciaire et il a été injustement arrêté. Il a clamé son innocence, mais il a tout de même été condamné à 15 ans de pénitencier pour un vol à main armée auquel il n’avait pas participé. En 1966, alors qu’il était emprisonné, il a obtenu de trois des cinq auteurs du braquage des déclarations sous serment qui le blanchissaient. L’intimé a alors entamé une croisade auprès de diverses autorités afin d’être innocenté, mais ses démarches se sont avérées infructueuses. En 1988, en plus des demandes adressées aux différents paliers de gouvernement, il a fait appel à la Commission de police du Québec (CPQ). Un commissaire a procédé à une enquête, et son rapport a été transmis au procureur général du Québec (PGQ), au ministre de la Sécurité publique du Québec et au Solliciteur général du Canada. En 1991, l’intimé a été autorisé à interjeter appel du verdict de culpabilité et, en 1994, la Cour d’appel a ordonné un arrêt des procédures. Insatisfait de ne pas avoir été acquitté, il s’est tourné vers la Cour suprême, qui l’a finalement acquitté en janvier 1997. Dès le mois de juin suivant, il a intenté un recours contre la Ville de Mont-Laurier, le PGQ et le procureur général du Canada (PGC). Des transactions ont été conclues avec la Ville et le PGQ. En ce qui concerne le PGC, la juge de première instance a tenu celui-ci responsable de la part du préjudice qu’il aurait causé à l’intimé et elle l’a condamné à lui payer 5 795 229 $ à titre de dommages-intérêts et de dommages moraux et exemplaires ainsi qu’en remboursement d’honoraires extrajudiciaires. Elle a conclu que la conduite du gouvernement fédéral envers l’intimé avait été empreinte d’indifférence institutionnelle, ce qui constitue une atteinte intentionnelle au droit de celui-ci à la sauvegarde de sa dignité, de son honneur et de sa réputation. Elle a reproché aux différents ministres de la Justice qui se sont succédé de ne pas avoir examiné sérieusement les demandes de révision de l’intimé, commettant ainsi une faute d’omission, et d’avoir refusé de lui verser une indemnité même après avoir reconnu l’existence d’une erreur judiciaire. Selon elle, bien que les pouvoirs de révision et de pardon soient de nature discrétionnaire, la Couronne ne bénéficierait pas d’une immunité lorsqu’elle les exerce. La juge a également conclu que le PGC avait abusé de son droit d’ester en justice en poursuivant inutilement le litige et en le prolongeant indûment. Le PGC ne conteste pas que l’exercice par le ministre de la Justice des pouvoirs que lui a conférés le Code criminel (C.Cr.) puisse faire l’objet d’une révision judiciaire. Il ne conteste pas non plus que l’exercice — ou le non-exercice — de ces pouvoirs puisse donner lieu à une poursuite en dommages-intérêts en vertu de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif. Cependant, il soutient que les pouvoirs dévolus au ministre relèvent de la prérogative royale, qu’ils sont très largement discrétionnaires et qu’ils sont assimilables à des actes de puissance publique. À ce titre, il en découlerait une immunité qui ne peut être levée qu’en cas de mauvaise foi ou de conduite abusive, ce qui ne serait pas le cas en l’espèce. De plus, même si une telle faute avait été commise, le PGC soutient que les sommes attribuées par la juge n’ont aucun lien avec le préjudice subi, qu’elles sont excessives et qu’elles font double emploi avec celles déjà versées par le PGQ et la Ville. Enfin, le PGC reproche à la juge de l’avoir condamné à payer des dommages exemplaires en vertu de la Charte des droits et libertés de la personne, qui ne s’applique pas à l’État fédéral et dont les conditions ne sont pas remplies, et, en l’absence d’abus de droit, d’avoir ordonné le remboursement d’honoraires extrajudiciaires.

Décision
La jurisprudence canadienne considère désormais que les décisions du ministre de la Justice rendues en application des articles 696.1 et ss. C.Cr. — et des dispositions antérieures — sont pleinement assujetties à la révision judiciaire, comme tout autre pouvoir ministériel dont l’exercice est balisé par la loi, et ce, au regard de la norme de la décision raisonnable. La prérogative royale en matière de clémence n’est donc plus un pouvoir absolu, discrétionnaire ou arbitraire hors de la portée des tribunaux, même si ceux-ci continuent à faire preuve d’une grande déférence envers l’exercice qu’en font ses titulaires, y compris le ministre. Cependant, l’assujettissement de l’exercice d’un pouvoir à la révision judiciaire n’entraîne pas nécessairement la responsabilité civile du décideur ou de l’État dont il serait le mandataire ou le préposé. Il n’y a pas d’adéquation entre «révision judiciaire» et «responsabilité civile». Par ailleurs, le fait que l’État fédéral soit assujetti aux règles de responsabilité civile extracontractuelle du Québec, dans le cas de dommages prétendument causés par la faute de ses mandataires, ne l’empêche pas d’invoquer son immunité. Sous réserve des questions relatives à la Charte canadienne des droits et libertés, la prérogative de pardon, essentiellement politique et de nature extraordinaire, ne peut faire l’objet d’un recours en dommages-intérêts, et ce, quels que soient la manière dont elle est exercée et le résultat auquel mène cet exercice. La même immunité protège les aspects de la prérogative de clémence demeurant couverts par le seul article 749 C.Cr. Ainsi, à supposer même que le refus du gouverneur en conseil ait été purement arbitraire ou encore fautif, il ne peut fonder une action en dommages-intérêts en raison de l’immunité qui s’attache à l’exercice de la prérogative de pardon. Toutefois, dans le cas du pouvoir qu’exerce le ministre en vertu des articles 696.1 et ss. C.Cr., la responsabilité civile de l’État peut être engagée en raison de la manière dont le ministre exerce ou n’exerce pas son pouvoir, lorsque la preuve établit sa mauvaise foi. En l’espèce, les décisions prises par le ministre fédéral de la Justice en vertu de son pouvoir de révision et celle du gouverneur en conseil de refuser le pardon demandé par l’intimé ne démontrent pas une conduite fautive de leur part. En effet, il n’a pas été démontré que le PGC avait commis une faute répondant à la norme de l’intention malveillante, une faute lourde ni même une faute simple. La juge a commis une erreur de droit en déterminant, à partir des normes et pratiques actuelles, ce que constituait une étude sérieuse à l’époque de la première demande de révision présentée par l’intimé, de 1967 à 1971. Mis à part un délai d’environ un an entre 1967 et 1968 lors duquel son dossier a stagné sans raison valable, ce dernier n’a pas démontré en quoi l’administration fédérale aurait été fautive en ce qui a trait au traitement de ses demandes de révision et de sa demande de pardon absolu, et encore moins malveillante. Il est malheureux que le ministre n’ait pas, en vertu de son pouvoir de révision, réparé l’injustice causée à l’intimé et mis fin à cette erreur judiciaire mais, à la lumière de la preuve alors disponible, rien n’indique que son examen du dossier ait été négligent. Bien que cette conclusion suffise à accueillir l’appel du PGC, il y a lieu d’ajouter qu’aucune faute causale n’est attribuable aux préposés du gouvernement du Canada. Si, toutefois, il avait fallu conclure en sens contraire, la plupart des conséquences néfastes subies par l’intimé découleraient de la conjugaison de plusieurs fautes. Par ailleurs, en l’absence de lien causal, la juge a également erré dans l’attribution des dommages-intérêts, notamment au chapitre des dommages pécuniaires pour la perte de revenus ainsi que les honoraires et dépens judiciaires. Quant aux dommages non pécuniaires, ils auraient dû être évalués de façon beaucoup plus spécifique. Même en supposant l’existence d’une faute, l’évaluation de l’indemnité payable est démesurée. Enfin, en l’absence d’atteinte illicite et intentionnelle aux droits de l’intimé et d’abus du droit d’ester en justice de la part du PGC, il n’y avait pas lieu d’accorder des dommages exemplaires ni le remboursement des honoraires extrajudiciaires.

Instance précédente : Juge Hélène Poulin, C.S., Montréal, 500-05-032707-976, 2011-04-13, 2011 QCCS 1780 (jugement rectifié le 2011-04-27), SOQUIJ AZ-50742270.

Réf. ant : (C.S., 2011-04-13 (jugement rectifié le 2011-04-27)), 2011 QCCS 1780, SOQUIJ AZ-50742270, 2011EXP-1353, J.E. 2011-735, [2011] R.J.Q. 794.

Le texte intégral de la décision est disponible ici

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