Summaries Sunday: SOQUIJ
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Énergie, mines et ressources: Le recours de Churchill Falls (Labrador) Corporation Ltd. qui visait à faire modifier un accord conclu en 1969 avec Hydro-Québec sur le prix de l’électricité pour la centrale de Churchill Falls est rejeté.
Intitulé : Churchill Falls (Labrador) Corporation Ltd. c. Hydro-Québec, 2014 QCCS 3590
Juridiction : Cour supérieure (C.S.), Montréal, 500-17-056518-106
Décision de : Juge Joel A. Silcoff
Date : 24 juillet 2014
ÉNERGIE, MINES ET RESSOURCES — électricité — contrat d’approvisionnement — Churchill Falls (Labrador) Corporation Ltd — Hydro-Québec — contrat conclu en 1969 — obligation d’agir de bonne foi — renégociation du prix — théorie de l’imprévision — interprétation du contrat — réparation appropriée — prescription extinctive — fin de non-recevoir — conduite du demandeur — dépens — frais d’expert — «honoraire spécial».
CONTRAT — interprétation — intention des parties — contrat d’approvisionnement — électricité — prix — bénéfices imprévus — partage — théorie de l’imprévision.
PROCÉDURE CIVILE — honoraires judiciaires — «honoraire spécial» — cause importante — contrat d’approvisionnement — électricité — contrat conclu en 1969 — Hydro-Québec — Churchill Falls (Labrador) Corporation Ltd — théorie de l’imprévision.
PROCÉDURE CIVILE — administration de la preuve — production de documents — rapport d’expert — recevabilité de la preuve — qualification de l’expert — pertinence — force probante — nécessité — fiabilité.
Requête en jugement déclaratoire. Rejetée.
Les parties ont conclu un contrat d’électricité le 12 mai 1969. En vertu de celui-ci, la demanderesse acceptait de fournir à la défenderesse substantiellement toute l’électricité provenant de la station hydroélectrique de la demanderesse pendant un terme initial de 44 ans et pour un terme additionnel de 25 ans se terminant en 2041. La demanderesse souhaite que le tribunal déclare que, dans les circonstances de l’espèce, le principe de droit civil de la bonne foi exige une modification pour l’avenir du prix établi dans le contrat afin que le prix payé à la demanderesse soit juste et équitable. Elle affirme que, pour que le prix soit juste et équitable, il faut au minimum que la valeur commerciale future de l’électricité produite par le projet Churchill Falls soit partagée entre la demanderesse et la défenderesse d’une manière raisonnable et conforme aux réalités actuelles ainsi qu’au contrat d’électricité. Selon la demanderesse, en raison de l’augmentation importante et totalement imprévisible des prix de l’énergie dans les années qui ont suivi la signature du contrat, dès le début des années 1970, contrairement aux attentes des parties, de la forte concurrence sur les marchés énergétiques qui a suivi, des modifications législatives survenues au Québec qui ont donné à la défenderesse un accès total aux marchés de l’exportation et des règles de libre-échange avec les États-Unis, qui ont permis à d’autres parties d’accéder au réseau de transmission de la défenderesse, le principe de la bonne foi dans les négociations et l’exécution des contrats, particulièrement dans des contrats à très long terme, exige une modification des modalités de l’entente concernant les prix. Elle fait valoir que le refus de la défenderesse de convenir d’un prix juste et équitable pour l’avenir constitue un abus de droit nécessitant une modification du contrat. Elle réclame une ordonnance de modification à compter du 30 novembre 2009 du taux payable par la défenderesse. Subsidiairement, elle demande que le contrat soit résilié à compter de six mois suivant la date du jugement. La défenderesse demande le rejet de cette requête, affirmant que ce que la demanderesse recherche, en fait et en droit, est une réparation fondée sur la «théorie de l’imprévision», soit un concept juridique qui a été expressément rejeté par le législateur à la plus récente réforme du Code civil du Québec.
Décision
Les critères applicables à la recevabilité des rapports d’expert ont été énoncés dans R. c. Mohan (C.S. Can., 1994-05-05), SOQUIJ AZ-94111042, J.E. 94-778, [1994] 2 R.C.S. 9, soit: a) la pertinence; b) la nécessité d’aider le juge des faits; c) l’absence de toute règle d’exclusion; et d) la qualification suffisante de l’expert. Dans Abbott and Haliburton Company v. WBLI Chartered Accountants (C.A. (N.-É.), 2013-05-24), 2013 NSCA 66, SOQUIJ AZ-50969245, le juge a ajouté des critères quelque peu controversés, soit l’impartialité, l’objectivité et l’indépendance de tout parti pris. Ces critères additionnels revêtent une importance dans les présentes procédures, particulièrement en ce qui concerne la preuve offerte par l’expert Massell, un spécialiste en histoire de l’hydroélectricité présenté par la demanderesse. La Cour suprême doit se saisir prochainement de ce dossier et se prononcer sur ces critères additionnels. Le rapport de cet expert ne remplit pas celui de la pertinence, de sorte qu’il devrait être exclu du dossier. Par ailleurs, il est utile, mais non nécessaire. Son analyse comporte des erreurs et des omissions. Enfin, cet expert n’a pas la qualification suffisante. Le rapport de l’expert en analyse du marché de l’électricité de la demanderesse, Dalton, remplit les critères de recevabilité, mais son objectivité et sa compréhension de faits importants posent problème. Par conséquent, ce rapport n’a pas la force probante nécessaire pour être retenu par le tribunal afin de l’aider à déterminer la justification de la réparation réclamée par la demanderesse ou les conséquences financières de celle-ci. Le rapport de l’expert en économie et en finance retenu par la défenderesse remplit les critères de recevabilité et était à la foi utile et nécessaire à la Cour en ce qui a trait aux enjeux dont elle doit décider, de sorte qu’il doit être retenu comme crédible et convaincant. En ce qui concerne le rapport de l’expert en histoire politique du Québec retenu par la défenderesse, comme celui-ci visait uniquement à répondre au rapport de l’expert Massell et que ce dernier ne satisfait pas aux critères de recevabilité et qu’il manque de force probante, il n’est pas nécessaire de se pencher sur la nécessité, la fiabilité ou la valeur probante de ce rapport.
En ce qui concerne le fond, l’objectif que la demanderesse semble poursuivre est en fait une modification des modalités quant au prix sur la base de faits imprévisibles survenus après la signature du contrat et des conséquences inéquitables qui en ont résulté. Or, il semble être fondé sur le concept qui est l’élément fondamental de la «théorie de l’imprévision». Le législateur québécois a rejeté l’introduction proposée dans le droit du Québec de cette théorie, laquelle est également rejetée par les tribunaux québécois. La demanderesse n’a pas convaincu la Cour que, dans le contexte de la nature et de l’équilibre de la relation ainsi que des expectatives légitimes des parties reflétées dans le contrat d’électricité, en refusant de renégocier les modalités du prix du contrat, la défenderesse a violé son devoir de droit civil d’agir et de collaborer de bonne foi et d’exercer raisonnablement ses droits. En faisant référence à la «vraie nature de la relation», la demanderesse semble inférer que la nature de la relation a été cristallisée ou définie dans la lettre d’intention ou ailleurs que dans le contrat d’électricité et qu’elle est en droit de recevoir une part équitable des bénéfices imprévus dégagés par la défenderesse. Or, cette inférence n’est pas supportée par la preuve. La demanderesse tente de faire en sorte que la Cour décrète et impose un nouvel équilibre aucunement fondé sur les modalités du contrat d’électricité existant, mais plutôt reflété dans un nouveau contrat plus favorable à ses objectifs et à ceux que recherchait avant elle le gouvernement de Terre-Neuve-et-Labrador. Il serait inapproprié pour la Cour de considérer le contrat comme s’il incluait une stipulation implicite, au moment où il a été négocié et signé, fondée sur les principes de la bonne foi, exigeant des parties qu’elles renégocient les modalités du contrat relatives au prix advenant des modifications imprévisibles des circonstances. Les parties ont expressément tenu compte d’une telle stipulation et l’ont rejetée. Elles ont plutôt convenu d’un barème de prix en vertu duquel la défenderesse paierait initialement un prix fixe, lequel diminuerait ultérieurement selon des montants prédéterminés sur une période de 65 ans. Il y a présomption que les deux parties considéraient ce contrat comme équitable à l’époque pertinente. Si les tribunaux accordaient à la demanderesse la réparation recherchée, ils feraient abstraction de l’un des principaux avantages négociés et reçus par la défenderesse en contrepartie de la prise en charge des divers risques et coûts financiers liés au projet, soit la certitude des coûts futurs et la protection de l’inflation quant aux coûts d’exploitation des installations.
Malgré ces conclusions, la Cour s’est penchée sur la question en litige portant sur le remède approprié. Le principal remède demandé par la demanderesse consiste en une ordonnance modifiant les modalités de prix du contrat au 30 novembre 2009, selon une formule qu’elle propose. Sur ce point, il y a lieu de retenir l’opinion de l’expert en économie et en finance de la défenderesse, selon laquelle le remède demandé compromettrait le paradigme contractuel en accordant à la demanderesse l’avantage de la résolution favorable a posteriori des risques que la demanderesse n’a jamais supportés et de retirer à la défenderesse la certitude quant aux coûts et à la protection contre l’inflation pour lesquels elle s’est battue si le prix du contrat se révèle inférieur aux autres solutions. Selon l’expert, la réparation demandée nuirait à la capacité d’appliquer une allocation appropriée des risques dans les contrats à long terme. Par ailleurs, la réparation proposée serait également inadéquate, compte tenu du traitement comptable et des incohérences dans le calcul de certains éléments de la formule proposée. La réparation subsidiaire n’est pas non plus appropriée. Enfin, la prétention de la demanderesse selon laquelle le refus de la défenderesse de renégocier serait une faute continue constituant une cause d’action continue n’est pas supportée en fait et en droit. La défenderesse a fait valoir à bon droit que le point de départ de la prescription correspond au premier moment où le droit d’action aurait pu être exercé, soit la connaissance par la demanderesse de l’événement générateur de son droit. Les arguments de la défenderesse selon lesquels la conduite de la demanderesse constitue une confirmation du contrat et représente une fin de non-recevoir ne sont pas non plus fondés en fait et en droit. Il n’y aucuns dépens fondés sur les requêtes incidentes et les objections à la preuve. Quant au fond, la demanderesse doit payer les dépens, y compris les honoraires des experts retenus par la défenderesse, soit 1 010 233 $ pour les services de l’expert en économie et en finance et 143 331 $ pour l’expert en histoire. Il y a également lieu d’accorder un «honoraire spécial» de 250 000 $ aux procureurs de la défenderesse puisque le dossier se qualifie de «cause importante».
Le texte intégral de la décision est disponible ici
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