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Summaries Sunday: SOQUIJ

Every week we present the summary of a decision handed down by a Québec court provided to us by SOQUIJ and considered to be of interest to our readers throughout Canada. SOQUIJ is attached to the Québec Department of Justice and collects, analyzes, enriches, and disseminates legal information in Québec.

CONSTITUTIONNEL (DROIT): Les articles de la Loi concernant les soins de fin de vie qui visent l’aide médicale à mourir sont incompatibles avec les articles 14 et 241 b) C.Cr.; leur mise en application sera ainsi suspendue dès l’entrée en vigueur de la loi, le 10 décembre 2015.

Intitulé : D’Amico c. Québec (Procureure générale), 2015 QCCS 5556 *
Juridiction : Cour supérieure (C.S.), Montréal, 500-17-082567-143
Décision de : Juge Michel A. Pinsonnault
Date : 1er décembre 2015 (jugement rectifié le 1er décembre 2015)

CONSTITUTIONNEL (DROIT) — partage des compétences — théorie de la prépondérance fédérale — Loi concernant les soins de fin de vie — aide médicale à mourir — compétence provinciale — santé — compétence fédérale — droit criminel — aide au suicide — consentement à la mort — entrée en vigueur de la loi — suspension — injonction provisoire.

INJONCTION — circonstances d’application — injonction interlocutoire ou provisoire — divers — Loi concernant les soins de fin de vie — entrée en vigueur de la loi — suspension — absence d’urgence — absence de préjudice sérieux ou irréparable.

Requête en injonction provisoire. Rejetée.

Le législateur québécois a prévu que la Loi concernant les soins de fin de vie, sanctionnée le 10 juin 2014, entrerait en vigueur le 10 décembre 2015. Les demandeurs D’Amico et Saba ont déposé une requête introductive d’instance en jugement déclaratoire, en demande de nullité et en injonction provisoire, interlocutoire et permanente contre la procureure générale du Québec (PGQ), tout en ayant mis en cause la procureure générale du Canada (PGC). Au stade de l’injonction provisoire, les demandeurs demandent au Tribunal de rendre une ordonnance selon laquelle les articles 26 à 32 de la loi ayant trait à l’aide médicale à mourir ainsi que l’article 4 de cette loi, dans la mesure où les dispositions de celui-ci s’appliquent à l’aide médicale à mourir, soient suspendus et ne reçoivent pas d’application au moment de l’entrée en vigueur de la loi, le 10 décembre 2015. La PGC appuie cette demande d’injonction provisoire. Elle affirme que les dispositions des articles 26 à 32, autorisant les médecins à offrir l’aide médicale à mourir, ont pour effet d’autoriser ces derniers à aider une personne à se suicider par l’entremise de ceux-ci et que, dans le contexte actuel, il s’agit d’un geste prohibé par l’article 241 b) du Code criminel (C.Cr.). Elle fait également valoir que, selon l’article 14 C.Cr., le consentement de la personne ayant demandé l’aide ne peut servir de défense à celle qui l’a aidée. Selon elle, il y a un empiétement direct par le législateur québécois sur une matière criminelle qui relève de la compétence exclusive du Parlement fédéral. La demanderesse, gravement handicapée depuis sa naissance et ayant une maladie potentiellement dégénérative, croit qu’une personne qui souffre et qui a perdu l’espoir par manque de véritables choix sur le plan des soins qu’elle requiert pourrait être incitée à choisir l’aide médicale à mourir pour en finir avec ses souffrances. Elle doute qu’un tel consentement soit réellement libre et éclairé comme l’exige la loi. Le demandeur invoque les mêmes arguments et insiste sur le fait que l’aide médicale à mourir ne peut être considérée comme un soin médical de santé. Selon lui, il est nécessaire de déclarer la loi qui légalise l’euthanasie d’un être humain et l’aide au suicide invalide, inapplicable ou inconstitutionnelle, d’autant plus qu’elle crée une confusion entre les soins palliatifs et l’euthanasie en utilisant l’euphémisme «aide médicale à mourir». Il souligne que l’acte médical létal sera impossible sans risque de poursuite criminelle pour la personne qui, ce faisant, aura commis un acte criminel en fonction du libellé actuel des articles 14 et 241 b) C.Cr.

Décision
La situation personnelle de la demanderesse ainsi que ses craintes, appréhensions et interrogations sur l’application des dispositions de la loi ayant trait à l’aide médicale à mourir, bien qu’elles soulèvent des questions sérieuses dans le contexte de la requête en jugement déclaratoire, ne donnent pas ouverture à l’injonction provisoire recherchée. La situation qu’elle décrit ne suscite aucune urgence. Elle ne peut non plus établir qu’elle subira un préjudice sérieux et irréparable dès l’entrée en vigueur de la loi. Le demandeur, à titre de médecin visé par les dispositions contestées de la loi, a démontré une apparence de droit sérieuse, compte tenu des devoirs et obligations que la loi lui imposera, dès le 10 décembre 2015, en ce qui concerne l’aide médicale à mourir ainsi qu’à tous les médecins pratiquant au Québec, et ce, dans le contexte légal actuel à la lumière de l’arrêt Carter c. Canada (Procureur général), (C.S. Can., 2015-02-06), 2015 CSC 5, SOQUIJ AZ-51147227, 2015EXP-471, J.E. 2015-245, [2015] 1 R.C.S. 331, prononcé le 6 février 2015 par la Cour suprême du Canada. Aux termes de cet arrêt, la Cour suprême a déclaré que les dispositions prohibant l’aide médicale à mourir aux articles précités du Code criminel portaient atteinte aux droits à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne que l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés garantit, et ce, d’une manière non conforme aux principes de justice fondamentale, et que cette atteinte n’était pas justifiée au regard de l’article premier de la charte. Elle a suspendu la déclaration d’invalidité prononcée jusqu’au 6 février 2016 ou à toute date antérieure si le Parlement fédéral légifère avant cette échéance en matière criminelle relativement à l’euthanasie d’un être humain et de suicide assisté dans le contexte de l’aide médicale à mourir. Le fait de camoufler l’aide au suicide et l’euthanasie d’un être humain au moyen d’un autre qualificatif, voire d’un euphémisme, à savoir l’aide médicale à mourir, ne peut avoir pour effet de soustraire automatiquement de l’application d’une loi fédérale un geste ou un acte expressément prohibé par les articles 14 et 241 b) C.Cr. et de conférer aussitôt une compétence au Québec en matière d’aide médicale à mourir sous prétexte qu’il s’agit dès lors d’un soin de santé qui s’inscrit dans le continuum des autres soins de santé offerts jusqu’à ce moment au patient. L’arrêt Carter n’a pas eu pour effet de décriminaliser de façon absolue l’aide au suicide et de permettre à toutes personnes respectant les paramètres établis d’obtenir l’aide médicale à mourir, et ce, sans autres délais. Au contraire, la Cour suprême n’a fait que créer une exception à la prohibition criminelle de suicide assisté en ce que l’aide à mourir ne peut être refusée aux adultes capables de consentir clairement à mettre fin à leurs jours et qui présentent des problèmes de santé graves et irrémédiables leur causant des souffrances persistantes et intolérables au regard de leur condition. Même si les deux ordres de gouvernement disposent d’une compétence concurrente en matière de santé, la Cour suprême n’a pas laissé entendre que le Québec — ou toute autre province — pouvait couvrir à lui seul le champ complet en matière d’aide médicale à mourir, comme le législateur québécois semble avoir voulu le faire en adoptant la loi. La PGQ insiste sur le principe de la présomption de validité des lois, dont la loi en cause doit bénéficier. Or, il existe une situation de conflit législatif manifeste qui entraîne nécessairement l’application de la doctrine de la prépondérance fédérale, sur le plan tant de l’incompatibilité des dispositions de la loi ayant trait à l’aide médicale à mourir avec le texte actuel des articles 241 b) et 14 C.Cr. toujours valides et en vigueur que de l’incompatibilité de ces mêmes dispositions de la loi avec l’objectif et l’intention de ces articles du Code criminel. Par conséquent, jusqu’à la prise d’effet de la déclaration d’invalidité prononcée par la Cour suprême dans Carter, les articles 14 et 241 b) C.Cr. rendent inopérants les articles 26 à 32 de la loi ainsi que son article 4, dans la mesure où les dispositions de cet article visent ou touchent l’aide médicale à mourir. La prétention de la PGQ selon laquelle il s’agit d’un faux débat, car les articles du Code criminel en cause sont «sur le respirateur artificiel» en raison de la déclaration d’invalidité se trouvant dans Carter, ne peut être retenue. Vu l’application de la doctrine de la prépondérance fédérale en l’espèce et la suspension de facto de la mise en application des articles de la loi mentionnés ci-dessus en découlant en raison de la déclaration de leur caractère inopérant actuel, le préjudice sérieux et irréparable invoqué au soutien de la demande d’injonction provisoire n’est plus présent, pas plus que l’urgence de rendre une telle ordonnance d’injonction provisoire. Par conséquent, cette requête est rejetée.

NDLR : En ce qui concerne l’arrêt Carter mentionné dans le résumé et diffusé à SOQUIJ AZ-51147227 (dossier no 35591), le 17 décembre 2015, le délai prévu à l’article 76 (1) des Règles de la Cour suprême du Canada a été prorogé afin que soit entendue la requête de la procureure générale du Canada en vue d’obtenir une ordonnance prolongeant pendant une période supplémentaire de six mois la suspension de la déclaration d’invalidité des articles 14 et 241 b) C.Cr. Par ailleurs, la demande d’intervention de la procureure générale du Québec à l’audition de cette requête a été accueillie le 23 décembre 2015.

Le texte intégral de la décision est disponible ici

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