Summaries Sunday: SOQUIJ
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PÉNAL (DROIT) : Les dispositions de l’article 737 C.Cr. relativement à la suramende compensatoire, prévoyant une contribution obligatoire affectée à l’aide aux victimes d’actes criminels d’une somme de 30 % de l’amende infligée pour une infraction ou, si aucune amende n’est infligée, de 100 $ pour une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire ou encore de 200 $ pour une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par mise en accusation, ne constituent pas une peine cruelle et inusitée au sens de l’article 12 de la Charte canadienne des droits et libertés.
Intitulé : Boudreault c. R., 2016 QCCA 1907
Juridiction : Cour d’appel (C.A.), Montréal, 500-10-006031-155
Décision de : Juges Nicole Duval Hesler (juge en chef), Mark Schrager et Robert M. Mainville
Date : 28 novembre 2016
PÉNAL (DROIT) — détermination de la peine — principes généraux — les peines et la Charte canadienne des droits et libertés — peine minimale — suramende compensatoire — constitutionnalité de l’article 737 C.Cr. — retrait du pouvoir discrétionnaire du juge — individualisation de la peine — proportionnalité de la peine — capacité de payer — mode facultatif de paiement.
PÉNAL (DROIT) — garanties fondamentales du processus pénal — droit à la protection contre tous traitements ou peines cruels et inusités — peine minimale — suramende compensatoire — constitutionnalité de l’article 737 C.Cr. — individualisation de la peine — proportionnalité de la peine — retrait du pouvoir discrétionnaire du juge — capacité de payer — mode facultatif de paiement.
DROITS ET LIBERTÉS — droits judiciaires — protection contre tous traitements ou peines cruels et inusités — infraction criminelle — peine minimale — suramende compensatoire — constitutionnalité de l’article 737 C.Cr. — individualisation de la peine — proportionnalité de la peine — retrait du pouvoir discrétionnaire du juge — capacité de payer — mode facultatif de paiement.
Appel d’une peine. Rejeté, avec dissidence.
En septembre 2013, l’appelant s’est reconnu coupable sous quatre accusations sommaires lui reprochant des manquements à des ordonnances de probation rendues entre juin et novembre 2012. Quatre mois plus tard, il s’est reconnu coupable sous 11 chefs d’accusation puis, en septembre 2014, sous 8 autres chefs. En septembre 2015, il a été condamné à 36 mois d’incarcération et à une suramende compensatoire de 1 400 $. Le juge de la Cour du Québec a rejeté ses arguments voulant que la suramende compensatoire prévue à l’article 737 du Code criminel (C.Cr.) viole l’article 12 de la Charte canadienne des droits et libertés. Néanmoins, la majorité des infractions en litige ayant été commises antérieurement aux amendements de 2013 apportés à l’article 737 C.Cr., il a exercé son pouvoir discrétionnaire reconnu avant ces amendements et a dispensé l’accusé du paiement des suramendes compensatoires pour tous les chefs sous lesquels il avait plaidé coupable, à l’exception de ceux visant des infractions commises postérieurement à ces amendements. Dans R. c. Cloud (C.A., 2016-04-05), 2016 QCCA 567, SOQUIJ AZ-51272063, 2016EXP-1221, J.E. 2016-664, la présente cour a tranché la controverse jurisprudentielle relative à la qualification juridique de la suramende compensatoire, concluant que celle-ci constituait une peine minimale. Le présent appel vise l’aspect de la constitutionnalité.
Décision
M. le juge Mainville, à l’opinion duquel souscrit le juge Schrager: Les amendements de 2013 à l’article 737 C.Cr. ont apporté trois modifications au régime de la suramende compensatoire, dont le retrait du pouvoir discrétionnaire du juge d’en exempter un contrevenant en cas de préjudice injustifié, éliminant par le fait même toute exception à cette mesure. La protection de la charte ne s’étend qu’à l’amende dont l’effet direct (le montant de l’amende) ou indirect (la durée de l’emprisonnement ou la mesure d’exécution en cas de défaut de paiement) est tel qu’il peut la faire basculer dans le concept étroit de «traitements ou peines cruels et inusités» énoncé à l’article 12 de la charte, à savoir une peine excessive à un point tel qu’elle ne peut être compatible avec la dignité humaine. En l’espèce, l’appelant ne conteste pas la suramende compensatoire en tant que telle, mais plutôt le fait que la suramende compensatoire soit obligatoire dans tous les cas, ce qui, selon lui, mènerait à des injustices, particulièrement pour les contrevenants qui n’auraient pas les moyens financiers de la verser, ce qui la rendrait «cruelle et inusitée» au sens de l’article 12 de la charte. Or, les moyens qu’il invoque ne tiennent pas. Quant au moyen voulant que l’imposition d’une suramende compensatoire empêche un tribunal d’accorder une absolution en vertu de l’article 730 C.Cr., la lecture des articles 730 (1) et 737 (1), faite dans le contexte global du Code criminel, en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de ce code, son objet et l’intention du Parlement, ne permet pas de conclure que la suramende compensatoire constitue une «peine minimale» au sens de l’article 730 (1), car l’article 737 (1) prévoit expressément que l’absolution est possible malgré l’obligation faite au contrevenant absous de la verser. Pour ce qui est du second moyen, il est inexact de soutenir que la suramende compensatoire écarte dans tous les cas les principes de proportionnalité et d’individualisation de la peine. Quant à savoir si elle contraint le tribunal à infliger une peine exagérément disproportionnée à l’infraction et aux circonstances de sa perpétration dans le cas de l’appelant et dans les cas hypothétiques raisonnables qui pourraient autrement survenir, la réponse est négative, cette conclusion reposant sur le fait que: 1) un juge peut tenir compte de la suramende compensatoire dans l’établissement de la peine juste et appropriée; 2) aucune mesure d’exécution civile ne peut être entreprise afin d’en assurer le paiement; 3) l’échéance de paiement peut être prolongée pour s’assurer que le contrevenant impécunieux ne risque pas un refus ou une suspension de licence ou de permis pour défaut de paiement; 4) un tel individu ne pourra être emprisonné pour omission de l’acquitter tant qu’il n’en a pas les moyens; et 5) un mode facultatif de paiement au moyen de travaux compensatoires est disponible dans la plupart des provinces et territoires canadiens, dont le Québec. Par conséquent, une contribution obligatoire affectée à l’aide aux victimes d’actes criminels d’un montant équivalant à 30 % de l’amende infligée pour une infraction ou, si aucune amende n’est infligée, de 100 $ pour une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire ou de 200 $ pour une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par mise en accusation ne constitue pas une peine cruelle et inusitée au sens de l’article 12 de la charte.
M. le juge Schrager: À l’égard de l’article 12 de la charte et de son application par la Cour suprême, il y a lieu de conclure que les excès dans les situations hypothétiques qui ressemblent au dossier de l’appelant, les dispositions prévoyant la suramende minimale obligatoire ne sont pas cruelles et inusitées. Les arrêts R. c. Smith (Edward Dewey), (C.S. Can., 1987-06-25), SOQUIJ AZ-87111047, J.E. 87-810, [1987] 1 R.C.S. 1045, R. c. Nur (C.S. Can., 2015-04-14), 2015 CSC 15, SOQUIJ AZ-51166481, 2015EXP-1133, J.E. 2015-622, [2015] 1 R.C.S. 773, et R. c. Lloyd (C.S. Can., 2016-04-15), 2016 CSC 13, SOQUIJ AZ-51278243, 2016EXP-1224, J.E. 2016-666, concernaient tous des peines minimales obligatoires d’emprisonnement prescrites par la loi, sans égard à l’absence de gravité des circonstances de leur commission. La Cour suprême n’a jamais invalidé une amende au motif qu’elle était cruelle et inusitée. Cela dit, en l’espèce, le revenu annuel de l’appelant est de 4 800 $. Il pourrait purger 17 jours additionnels d’emprisonnement, ce qu’il a indiqué être prêt à faire. Cette peine n’est pas cruelle. Quant aux circonstances hypothétiques, c’est à bon droit que la juge en chef considère l’hypothèse d’un contrevenant qui habite une province n’offrant pas de programme de travaux compensatoires. Par ailleurs, dans R. c. Wu (C.S. Can., 2003-12-18), 2003 CSC 73, SOQUIJ AZ-50211703, J.E. 2004-142, [2003] 3 R.C.S. 530, la Cour suprême a conclu qu’un contrevenant ne peut être emprisonné en raison de son incapacité de payer. Il ne s’agit pas d’une situation excessive à un point tel qu’elle est incompatible avec la notion de la «dignité humaine». Une peine minimale ne contrevient pas en soi à l’article 12 de la charte. Enfin, l’idée que la suramende compensatoire minimale soit cruelle et inusitée pour la seule raison qu’il existe plusieurs contrevenants impécunieux usurpe le rôle du Parlement d’établir la politique en matière de détermination de la peine.
Mme la juge en chef Duval Hesler, dissidente: Le juge de première instance a erré en droit en omettant d’évaluer l’effet de la suramende compensatoire sur les principes de la proportionnalité et de l’individualisation de la peine. Le pouvoir d’un juge d’assouplir les autres composantes de la peine constitue une garantie inadéquate de la constitutionnalité de l’article 737 C.Cr. L’imposition de la suramende sans égard à la capacité financière de l’accusé peut à elle seule constituer une peine cruelle et inusitée. Le juge a également erré dans son analyse des situations hypothétiques raisonnables. La seule raison qui fait en sorte que, en l’espèce, le juge parvienne à une somme de suramende compensatoire moindre est précisément qu’il a pu exercer un pouvoir discrétionnaire qui lui est maintenant retiré. Il est incohérent en droit et contraire à la dignité humaine d’imposer des peines qui s’apparentent à une peine non déterminée pour la seule raison qu’un contrevenant est impécunieux. Pour cette raison, l’abrogation de la discrétion judiciaire autrefois prévue par l’article 737 C.Cr. est inconstitutionnelle. Enfin, une peine exagérément disproportionnée ne peut respecter le critère de l’atteinte minimale ni celui de la proportionnalité. Lorsque la suramende compensatoire ne sera jamais payée, elle ne sert à aucune fin qui permettrait l’application de l’article 1 de la charte.
Le texte intégral de la décision est disponible ici
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