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Summaries Sunday: SOQUIJ

Every week we present the summary of a decision handed down by a Québec court provided to us by SOQUIJ and considered to be of interest to our readers throughout Canada. SOQUIJ is attached to the Québec Department of Justice and collects, analyzes, enriches, and disseminates legal information in Québec.

RESPONSABILITÉ : Avec ce que les agents avaient comme information à la suite de leur enquête, un policier prudent et diligent se trouvant dans la même situation n’aurait pas conclu à l’existence de motifs raisonnables et probables de croire à la commission des infractions de traite de personnes, d’avantage matériel provenant de la traite de personnes et encore moins de rétention ou de destruction de documents par les demandeurs.

Intitulé : Manoukian c. Procureur général du Canada, 2018 QCCS 30
Juridiction : Cour supérieure (C.S.), Montréal, 500-17-042993-082
Décision de : Juge France Dulude
Date : 8 janvier 2018

RESPONSABILITÉ — atteintes d’ordre personnel — arrestation et accusation injustifiées — policier — Gendarmerie royale du Canada — obligation de prudence et de diligence — enquête policière — motifs raisonnables et probables — traite de personnes (art. 279.01 C.Cr.) — dépôt d’accusation — enquête incomplète — conférence de presse — présomption d’innocence — lien de causalité — procureur général du Canada — avocat — absence d’intention malveillante — immunité relative — retrait des accusations — dommages-intérêts — dommage non pécuniaire.

RESPONSABILITÉ — responsabilité de l’État — Gendarmerie royale du Canada — policier — arrestation et accusation injustifiées — accusation de traite de personnes — enquête incomplète — conférence de presse — présomption d’innocence — diffamation — dépôt d’accusation — lien de causalité — dommages-intérêts — dommage non pécuniaire.

RESPONSABILITÉ — éléments généraux de responsabilité — lien de causalité — arrestation et accusation injustifiées — policier — Gendarmerie royale du Canada — enquête incomplète — conférence de presse — présomption d’innocence — diffamation — dépôt d’accusation — procureur général du Canada — substitut du procureur général — novus actus interveniens.

RESPONSABILITÉ — responsabilité du fait des autres — commettant — procureur général du Canada — Gendarmerie royale du Canada — policier — arrestation et accusation injustifiées — accusation criminelle — traite de personnes — enquête incomplète — conférence de presse — présomption d’innocence — diffamation — dépôt d’accusation — lien de causalité — dommages-intérêts — dommage non pécuniaire.

RESPONSABILITÉ — responsabilité professionnelle — avocat — accusation de traite de personnes — motifs raisonnables et probables — rapport d’enquête — évaluation objective — preuve insuffisante — retrait des accusations — absence d’intention malveillante — immunité relative.

DOMMAGE (ÉVALUATION) — dommage aux biens — perte de capacité de gains — arrestation et accusation injustifiées — syndrome post-traumatique.

DOMMAGE (ÉVALUATION) — dommage moral — arrestation et accusation injustifiées — perquisition — accusation criminelle — traite de personnes — conférence de presse — diffamation — retrait des accusations — humiliation — atteinte à la réputation — stress post-traumatique — trouble obsessif — perte de qualité de vie — enfant — victime par ricochet.

Demande en réclamation de dommages-intérêts, de dommages moraux et de dommages punitifs (3 325 000 $). Accueillie en partie (426 100 $).

Le 25 janvier 2006, un caporal, quatre gendarmes de la Gendarmerie royale du Canada (GRC), six policiers du Service de police de Laval et un agent de renseignements de l’immigration ont perquisitionné à la résidence de la famille Manoukian en vue de recueillir de la preuve concernant Manaye, une aide domestique, qu’ils soupçonnaient d’être victime de traite de personnes. À la suite d’une enquête menée par les gendarmes de la GRC, le couple Manoukian a été accusé, le 16 mai 2007, par le défendeur, le Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP), de traite de personnes, d’avoir bénéficié d’un avantage matériel ainsi que de rétention de documents, soit les infractions prévues aux articles 279.01, 279.02 et 279.03 du Code criminel (C.Cr.). Le 18 mai suivant, la GRC a publié sur son site Internet un communiqué au sujet de ces accusations et a tenu une conférence de presse très médiatisée en vue d’informer la population des accusations et de l’existence des nouveaux articles du Code criminel relatifs au phénomène méconnu de la traite de personnes. Le 6 décembre, les accusations portées ont été retirées, et ce, avant la tenue d’une enquête préliminaire. M. Manoukian et Mme Saryboyajian allèguent qu’ils ont été injustement et illégalement accusés. Ils réclament donc, de concert avec leurs quatre enfants, 3 325 000 $ aux défendeurs pour les dommages qu’ils prétendent avoir subis des suites de l’enquête de la GRC, qu’ils qualifient de «bâclée et incomplète», et de la conférence de presse tenue par les enquêteurs de la GRC. Ils soutiennent que la défenderesse Me Briand, procureure du DPCP, n’aurait jamais dû autoriser les accusations puisque l’enquête ne permettait pas de conclure qu’il existait des motifs raisonnables et probables de croire que les infractions prévues aux articles 279.01 à 279.03 C.Cr. avaient été commises.

Décision

Au moment de perquisitionner à la maison des demandeurs, les enquêteurs détenaient suffisamment d’informations pour avoir des motifs raisonnables et probables de croire qu’une infraction ou des infractions en vertu de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés ou du Code criminel avaient été commises et que des éléments de preuve se rapportant à ces infractions pouvaient se trouver sur ces lieux. Ensuite, l’article 279.04 C.Cr. obligeait les agents de la GRC à se demander s’ils avaient des motifs raisonnables et probables de croire que les Manoukian avaient commis des agissements qui étaient de nature à inspirer à Manaye une crainte pour sa sécurité et que ces agissements avaient été la cause de son travail. Ici, les circonstances étaient incompatibles avec le travail forcé, l’exploitation, l’emprise ou la violence physique ou psychologique auxquels fait référence l’infraction relative à la traite de personnes contenue au Code criminel. En fait, avec l’information que les gendarmes détenaient à la suite de leur enquête, un policier prudent et diligent se trouvant dans la même situation n’aurait pas conclu à l’existence de motifs raisonnables et probables de croire à la commission des infractions de traite de personnes, de bénéficier d’un avantage matériel et encore moins de rétention ou de destruction de documents au sens des articles 279.01 et ss. C.Cr. De plus, l’enquête de la GRC a été négligente et son compte rendu remis au DPCP était incomplet et trompeur. Enfin, les propos tenus par la GRC dans son communiqué et lors de la conférence de presse sont aussi trompeurs, et ils sont fondés sur son enquête incomplète et bâclée. Ainsi, la GRC, le sergent Morin et les gendarmes Raymond et Turpin sont responsables, avec la procureure générale du Canada à titre de commettant, des dommages causés aux Manoukian par leur faute.

Contrairement aux policiers, le DPCP et ses procureurs bénéficient d’une immunité à l’égard des actes commis dans l’exercice de leurs fonctions. Cette immunité est relative et elle pose quatre conditions pour obtenir gain de cause dans une action en responsabilité pour poursuite abusive à l’égard du DPCP et ses procureurs, à savoir: 1) les procédures ont été engagées par le défendeur; 2) le tribunal a rendu une décision favorable au demandeur; 3) la poursuite ne repose sur aucun motif raisonnable ou probable; et 4) la poursuite a été engagée dans une intention malveillante ou dans un objectif principal autre que celui de l’application de la loi. Ici, les deux premières conditions ne soulèvent pas de débat. Quant aux deux autres, la preuve révèle que Me Briand n’a pas fait une évaluation objective et impartiale du dossier. Bien qu’elle n’ait pas eu à être convaincue de la culpabilité des Manoukian hors de tout doute raisonnable pour déposer des accusations, elle devait avoir suffisamment de preuves pour croire que la culpabilité de ces derniers pourrait être démontrée hors de tout doute raisonnable. Les informations mentionnées au rapport d’enquête auraient dû l’inciter à plus de prudence, et ce, d’autant plus qu’il s’agissait des premières accusations pour traite de personnes intentées au Canada. Or, à la suite de son analyse du dossier, Me Briand aurait dû se rendre compte qu’il existait peu d’éléments de preuve pour démontrer que les Manoukian avaient, par leurs agissements, contraint Manaye au travail contre son gré en lui inspirant la peur pour sa sécurité, et ce, intentionnellement. Toutefois, il n’y a aucune preuve que la poursuite a été engagée dans une intention malveillante ou dans un objectif principal autre que celui de l’application de la loi. En conséquence, la poursuite contre Me Briand et le DPCP doit être rejetée, compte tenu de l’immunité relative dont ils bénéficient.

En ce qui concerne le quantum, la preuve ne démontre pas de façon probante que M. Manoukian aurait été en mesure d’engendrer des revenus de 200 000 $ par année pendant 10 ans n’eussent été les accusations. Au mieux, il aurait été en mesure, au cours d’une période additionnelle d’environ cinq ans, d’exécuter certains contrats ou d’agir à titre de consultant, ce qui lui aurait permis de facturer des honoraires que le tribunal, usant de son pouvoir discrétionnaire, évalue à 25 000 $ par année. Ainsi, sa perte de gains est fixée à 125 000 $. Une somme de 21 100 $ lui est également accordée pour ses autres pertes pécuniaires. D’autre part, les propos tenus par les représentants de la GRC lors de la conférence de presse, laquelle a connu une grande ampleur médiatique, étaient objectivement de nature attentatoire à la réputation du demandeur. Étant donné les sommes attribuées par les tribunaux en semblable matière, ce dernier a droit à une compensation de 150 000 $ pour l’ensemble de ses dommages moraux. Pour sa part, son épouse, laquelle a notamment subi une atteinte à sa qualité de vie, a droit à 50 000 $ à ce titre. Enfin, leurs quatre enfants ont été perturbés, et ce, même s’ils n’ont pas été personnellement accusés. Ils étaient présents lors de la perquisition, leurs parents se sont fait arrêter et les accusations ont été publicisées à outrance à la suite de la conférence de presse de la GRC. En vertu de son pouvoir discrétionnaire, le tribunal leur accorde 20 000 $ chacun en dommages moraux.

Le texte intégral de la décision est disponible ici

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