Summaries Sunday: SOQUIJ
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DROITS ET LIBERTÉS : La Cour d’appel confirme que les propos tenus par Mike Ward à l’endroit de Jérémy Gabriel, lequel est atteint du syndrome de Treacher Collins, sont de nature discriminatoire et qu’ils ont eu pour effet de compromettre le droit de ce dernier à la reconnaissance en pleine égalité de sa dignité, de son honneur et de sa réputation (art. 10 de la Charte des droits et libertés de la personne).
Intitulé : Ward c. Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Gabriel et autres), 2019 QCCA 2042
Juridiction : Cour d’appel (C.A.), Montréal
Décision de : Juges Manon Savard, Claudine Roy et Geneviève Cotnam
Date : 28 novembre 2019
DROITS ET LIBERTÉS — droits et libertés fondamentaux — dignité — atteinte à la réputation — atteinte à l’honneur — propos discriminatoires — enfant handicapé — syndrome de Treacher Collins — personnalité publique — caractéristiques physiques — blague — moquerie — humoriste — spectacle — site Internet — parent de l’enfant — distinction entre un recours en diffamation et un recours lié à la discrimination — atteinte illicite et intentionnelle — dommage non pécuniaire — dommages punitifs.
DROITS ET LIBERTÉS — droit à l’égalité — motifs de discrimination — handicap ou déficience — enfant — syndrome de Treacher Collins — personnalité publique — propos discriminatoires — caractéristiques physiques — blague — moquerie — humoriste — spectacle — site Internet — distinction entre un recours en diffamation et un recours lié à la discrimination — atteinte à la dignité — atteinte à l’honneur — atteinte à la réputation — atteinte illicite et intentionnelle — dommage non pécuniaire — dommages punitifs.
DROITS ET LIBERTÉS — droit à l’égalité — actes discriminatoires — divers — humoriste — propos discriminatoires — caractéristiques physiques — enfant handicapé — syndrome de Treacher Collins — personnalité publique — blague — spectacle — site Internet — distinction entre un recours en diffamation et un recours lié à la discrimination — atteinte à la dignité — atteinte à l’honneur — atteinte à la réputation — atteinte illicite et intentionnelle — dommage non pécuniaire — dommages punitifs.
DROITS ET LIBERTÉS — droits et libertés fondamentaux — pensée, opinion et expression — liberté d’expression — humoriste — spectacle — site Internet — blague — propos discriminatoires — enfant handicapé — syndrome de Treacher Collins — caractéristiques physiques — personnalité publique — atteinte à la dignité — atteinte à l’honneur — atteinte à la réputation.
DOMMAGE (ÉVALUATION) — dommage moral — atteinte à la dignité — atteinte à l’honneur — atteinte à la réputation — humoriste — spectacle — site Internet — propos discriminatoires — enfant handicapé — syndrome de Treacher Collins — personnalité publique — caractéristiques physiques.
DOMMAGE (ÉVALUATION) — dommage exemplaire ou dommage punitif — Charte des droits et libertés de la personne — atteinte à la dignité — atteinte à l’honneur — atteinte à la réputation — humoriste — spectacle — site Internet — propos discriminatoires — enfant handicapé — syndrome de Treacher Collins — personnalité publique — caractéristiques physiques — atteinte illicite et intentionnelle.
Appels d’un jugement de la Cour supérieure ayant accueilli en partie une demande de l’intimée et ayant condamné l’appelant à verser des dommages-intérêts compensatoires et punitifs aux mis en cause. Appel principal accueilli en partie et appel incident rejeté, avec dissidence.
Le plaignant est atteint du syndrome de Treacher Collins. Surnommé «le petit Jérémy», il a acquis une certaine notoriété au Québec entre 2005 et 2009. L’appelant, de son côté, est humoriste. Le juge de première instance a conclu que, dans un numéro de son spectacle présenté de 2010 à 2013 et dans l’une des capsules de son site Internet, l’appelant a tenu des propos au sujet du handicap du plaignant et de l’utilisation d’un moyen pour pallier celui-ci qui étaient discriminatoires au sens de l’article 10 de la Charte des droits et libertés de la personne puisqu’ils ont porté atteinte au droit de ce dernier au respect de sa dignité, de son honneur et de sa réputation, protégé par l’article 4 de la charte. Le juge a accordé des dommages-intérêts compensatoires et punitifs au plaignant (respectivement de 25 000 $ et 10 000 $) et à sa mère (respectivement de 5 000 $ et 2 000 $).
Décision
Mmes les juges Roy et Cotnam: La violation du droit à la sauvegarde de la dignité, de l’honneur et de la réputation peut engendrer 2 types de recours: un recours en diffamation qui s’appuie sur les règles générales de la responsabilité civile (art. 1457 du Code civil du Québec) et sur l’article 4 de la Charte des droits et libertés de la personne; ou un recours pour atteinte au droit à l’égalité (ou pour discrimination) dans la reconnaissance et l’exercice des droits fondamentaux, fondé sur l’article 10 de la Charte des droits et libertés de la personne. Le premier recours relève des tribunaux judiciaires et le demandeur doit établir l’existence d’une faute et d’un préjudice ainsi que d’un lien de causalité entre la faute et le préjudice allégués. Dans le cas d’un recours en discrimination intenté devant le Tribunal des droits de la personne, le plaignant, souvent représenté par la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, doit, pour avoir gain de cause, établir une 1) distinction, exclusion ou préférence 2) fondée sur l’un des motifs énumérés à l’article 10 de la charte et 3) qui a pour effet de détruire ou de compromettre le droit à la pleine égalité dans la reconnaissance et l’exercice d’un droit ou d’une liberté par ailleurs garanti par la Charte des droits et libertés de la personne Si ces 3 éléments sont établis, il y a, à première vue, discrimination. Il appartiendra alors au défendeur de démontrer que cette atteinte n’est pas illicite parce qu’elle se justifie selon les exemptions prévues par la loi sur les droits de la personne ou établies par la jurisprudence. Le tribunal saisi du litige doit à cette étape se livrer à un délicat exercice de pondération entre le droit à la dignité, à l’honneur ou à la réputation du plaignant et le droit à la liberté d’expression du défendeur.
En l’espèce, l’appelant a préféré faire référence au plaignant plutôt qu’à d’autres personnalités publiques car, selon sa perception de l’opinion publique, il s’agit d’une personne en situation de handicap et faible dont on ne peut se permettre de rire. Il a choisi de s’en moquer précisément pour ces raisons et il l’a fait en insistant sur les caractéristiques physiques liées au handicap du plaignant ainsi qu’au moyen que celui-ci utilise pour y pallier. Ainsi, le juge pouvait raisonnablement conclure que le plaignant faisait l’objet d’une distinction fondée sur l’un des motifs énumérés à l’article 10 de la charte. De plus, une personne raisonnable qui aurait été visée par les remarques de l’appelant serait, même dans une société pluraliste, atteinte dans sa dignité. En effet, les propos dénigrants de ce dernier ont véhiculé le stéréotype qu’une personne vivant en situation de handicap vaut moins qu’une autre personne, qu’elle est moins «belle» qu’une autre ou, pire encore, qu’elle devrait vivre moins longtemps.
Il est vrai que l’humour est une forme d’expression artistique visée par la liberté d’expression. Toutefois, les humoristes, tout comme les artistes, ne bénéficient pas d’un statut particulier en matière de liberté d’expression. Les tribunaux ont déjà souligné que le droit à la caricature connaît des limites, dont le droit à la dignité et à l’honneur des personnes qui en font l’objet. En l’espèce, l’humoriste a franchi la limite permise. D’autre part, la conclusion du juge selon laquelle l’appelant ne pouvait ignorer les conséquences de ses blagues sur le plaignant n’est pas déraisonnable. Ces blagues ne consistaient pas en des paroles lancées sans réfléchir mais, au contraire, en des propos étudiés, planifiés et répétés pendant une longue période devant des milliers de personnes.
Enfin, l’appelant ne démontre aucune erreur révisable dans l’évaluation de l’indemnité versée au plaignant.
Quant à la mère du plaignant, il ne fait pas de doute qu’elle a été blessée par l’insinuation de l’appelant voulant qu’elle ait préféré s’acheter des biens de luxe plutôt que de payer les soins requis par son fils. Ce commentaire pourrait vraisemblablement donner ouverture à un recours en diffamation, mais la Cour ne peut conclure que la mise en cause a personnellement été victime de discrimination. Il y a donc lieu de rejeter sa réclamation ainsi que l’appel incident relatif à la réclamation du père du plaignant.
Mme la juge Savard, dissidente: En première instance, le juge a estimé que ce n’est pas en raison de son handicap que le plaignant avait été visé par les propos de l’appelant, mais uniquement du fait qu’il est une personnalité publique. Cette conclusion de fait du juge, à l’égard de laquelle la Cour doit déférence, est déterminante puisqu’une telle distinction n’est pas en soi fondée sur un motif prohibé.
D’autre part, l’article 10 de la charte protège l’égalité réelle, qui renvoie à l’idée que l’application d’une norme de manière générale, sans tenir compte des particularités de certaines personnes liées à un motif prohibé, peut avoir comme effet de résulter en un traitement discriminatoire. Cette égalité réelle ne requiert pas d’ériger en principe l’interdiction de tenir des propos à teneur humoristique faisant référence aux caractéristiques personnelles protégées d’une personnalité publique lorsque ces caractéristiques sont au coeur de l’aspect public de la personne. Tout est une question de contexte, ce que le juge a omis de prendre en considération en concluant qu’il y avait une distinction au sens de l’article 10 de la charte du seul fait que le plaignant était la seule personnalité publique dont les caractéristiques physiques étaient liées à son handicap. Sa décision à cet égard n’appartient pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.
Par ailleurs, le juge s’est mépris lorsqu’il a analysé la liberté d’expression de l’appelant comme moyen de défense relativement aux propos déjà jugés comme contrevenant à l’article 10 de la charte. Avant de conclure qu’une distinction fondée sur un motif prohibé avait détruit ou compromis l’exercice, en pleine égalité, du droit du plaignant à la dignité (art. 4 de la charte), le juge devait d’abord interpréter la portée de ce droit à la lumière de la liberté d’expression de l’appelant, conformément à l’article 9.1 de la charte.
En l’espèce, le juge a conclu que la liberté d’expression de l’appelant ne pouvait prévaloir puisque ses propos, qui n’étaient pas d’intérêt public, visaient uniquement le plaignant et portaient atteinte à sa dignité puisqu’ils étaient discriminatoires. Or, une telle analyse ne fait pas partie des issues raisonnables, car l’article 10 de la charte garantit le droit à l’égalité dans la jouissance des droits et libertés, que ceux-ci soient invoqués individuellement ou collectivement.
De plus, en concluant que les propos de l’appelant n’étaient pas protégés par sa liberté d’expression parce qu’ils portaient atteinte à la dignité du plaignant, le juge a omis tout exercice de pondération pourtant imposé par l’article 9.1 de la charte. Ce faisant, il a occulté la liberté d’expression de son analyse alors qu’elle fait tout autant partie des libertés fondamentales protégées par la loi. La mise en équilibre imposée par l’article 9.1 de la charte aurait dû mener le juge à conclure que les propos de l’appelant ne compromettaient pas l’exercice, en pleine égalité, du droit à la dignité du plaignant.
Le texte intégral de la décision est disponible ici
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