Summaries Sunday: SOQUIJ
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PÉNAL (DROIT) : Le juge de première instance a commis des erreurs de droit en analysant la question de la capacité de la victime à consentir aux actes sexuels survenus avec l’accusé; il a erré en estimant que le témoignage de la victime ne lui était d’aucune utilité dans l’analyse de son état d’esprit au moment où les actes sont survenus, et ce, au motif qu’elle n’en avait aucun souvenir, et en ne tenant pas compte des faits circonstanciels qu’elle avait relatés.
Intitulé : R. c. Rioux, 2024 QCCA 657
Juridiction : Cour d’appel (C.A.), Montréal
Décision de : Juges Robert M. Mainville, Stephen W. Hamilton et Frédéric Bachand
Date : 21 mai 2024
Résumé
PÉNAL (DROIT) — infraction — infractions de nature sexuelle — agression sexuelle — éléments constitutifs de l’infraction — actus reus — consentement — capacité de consentir — amnésie — perte de mémoire — consommation d’alcool — état d’esprit de la victime — acquittement — appel — erreur de droit — tenue d’un nouveau procès — article 686 (8) C.Cr.
PÉNAL (DROIT) — preuve pénale — appréciation de la preuve — témoignage de l’accusé — absence de preuve directe — état d’esprit de la victime — capacité de consentir — absence de consentement — amnésie — perte de mémoire — consommation d’alcool — preuve circonstancielle — crédibilité de la victime — crédibilité de l’accusé — fiabilité — aveu — déclaration extrajudiciaire — agression sexuelle.
PÉNAL (DROIT) — juridiction pénale — appel — acquittement — agression sexuelle — erreur de droit — fardeau de la poursuite — incidence significative sur le verdict d’acquittement — tenue d’un nouveau procès — pouvoir de la Cour d’appel — pouvoir discrétionnaire — ordonnance limitant la portée du nouveau procès — article 686 (8) C.Cr. — distinction d’avec l’affaire R. c. Cowan (C.S. Can., 2021-11-05), 2021 CSC 45, SOQUIJ AZ-51806378, 2021EXP-2695 — portée de l’acte d’accusation — modification du chef d’accusation.
PÉNAL (DROIT) — garanties fondamentales du processus pénal — droit de ne pas être jugé de nouveau — appel — acquittement — agression sexuelle — tenue d’un nouveau procès — ordonnance limitant la portée du nouveau procès — article 686 (8) C.Cr. — portée de l’acte d’accusation — doctrine de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée — intérêt supérieur de la justice — modification du chef d’accusation.
DROITS ET LIBERTÉS — droits judiciaires — personne arrêtée ou détenue — droit de ne pas être jugé de nouveau — appel — acquittement — agression sexuelle — tenue d’un nouveau procès — ordonnance limitant la portée du nouveau procès — article 686 (8) C.Cr. — portée de l’acte d’accusation — doctrine de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée — intérêt supérieur de la justice — modification du chef d’accusation.
Appel d’un verdict d’acquittement. Accueilli, avec dissidence; la tenue d’un nouveau procès est ordonnée.
La poursuite porte en appel un jugement ayant prononcé l’acquittement de l’intimé sous un chef d’accusation d’agression sexuelle. La preuve de la poursuite concerne 2 rapports sexuels ayant eu lieu à quelques heures d’intervalle, l’un survenu à Magog (le seul sur lequel porte l’appel), et l’autre, à Bonsecours. La victime, qui avait consommé de l’alcool, n’a aucun souvenir de ces relations sexuelles.
Décision
M. le juge Bachand, à l’opinion duquel souscrit le juge Hamilton: Le juge de première instance a commis des erreurs de droit en analysant la question de la capacité de la victime à consentir aux actes sexuels. D’abord, il semble avoir considéré que le témoignage de l’intimé constituait une preuve directe de la capacité de la victime à consentir aux actes sexuels et du fait que cette dernière avait effectivement consenti. Or, le témoignage d’une victime est le seul élément pouvant constituer une preuve directe de son état d’esprit au moment où est commise une agression. Un accusé peut témoigner relativement à des faits circonstanciels susceptibles de soulever un doute raisonnable quant au témoignage d’une victime qui nie avoir consenti à l’acte sexuel; son témoignage est également recevable lorsque, comme en l’espèce, la victime n’est pas en mesure de témoigner directement sur son état d’esprit au moment où est survenu cet acte. Toutefois, ce témoignage ne constituera qu’un élément de preuve circonstancielle parmi d’autres de l’état d’esprit de la victime.
Le juge a commis une autre erreur, beaucoup plus importante, en estimant que le témoignage de la victime ne lui était d’aucune utilité dans l’analyse de son état d’esprit lors des actes sexuels, car elle n’en avait aucun souvenir. L’utilité potentielle du témoignage d’une victime incapable de se souvenir de l’acte sexuel est reconnue. En l’espèce, le juge n’a tenu compte d’aucun des faits circonstanciels relatés par la victime dans son analyse du caractère consensuel des actes sexuels. Ceux-ci sont pourtant indéniablement pertinents puisque plusieurs d’entre eux tendent à contredire le récit de l’intimé quant au déroulement de la soirée et à l’état de la victime. Ainsi, le juge a erré en ne retenant pas le témoignage de la victime à titre d’élément de preuve circonstancielle. Il a également omis de tenir compte d’autres éléments circonstanciels pertinents, dont l’état d’incapacité de la victime au moment de la relation sexuelle survenue à Bonsecours ou encore la déclaration extrajudiciaire de l’intimé, enregistrée par la victime, qui tendait à démontrer que celle-ci n’était pas apte à consentir aux actes sexuels.
Ces erreurs ne sont pas sans conséquence et la Cour estime qu’un nouveau procès, limité toutefois aux événements de Magog, doit être ordonné, conformément à l’article 686 (8) du Code criminel. Certes, les actes sexuels survenus à Magog et ceux survenus à Bonsecours ont fait l’objet de 1 seul chef d’accusation, et la règle générale est qu’une ordonnance de tenue d’un nouveau procès après l’annulation d’un acquittement vise un procès complet. Or, l’appelant a renoncé à contester la conclusion du juge selon laquelle l’intimé n’avait pas engagé sa responsabilité criminelle relativement aux événements de Bonsecours. Pour cette raison, la tenue d’un nouveau procès complet aurait pour effet de rouvrir le débat à l’égard d’une question qui a été tranchée de manière définitive et entraînerait possiblement une violation des droits de l’intimé protégés par l’article 11 h) de la Charte canadienne des droits et libertés. Enfin, la tenue d’un nouveau procès complet ne s’impose pas à la lumière de l’arrêt R. c. Cowan (C.S. Can., 2021-11-05), 2021 CSC 45, SOQUIJ AZ-51806378, 2021EXP-2695, qui traitait d’une situation bien différente.
M. le juge Mainville, dissident: Il y a lieu de rejeter l’appel. Contrairement à ce que soutient la poursuite, le juge a pris en considération l’ensemble de la preuve, y compris la preuve circonstancielle, mais a conclu que la valeur probante du témoignage de l’intimé, qu’il a cru, lui permettait néanmoins de prononcer l’acquittement. Par ailleurs, une ordonnance de tenir un nouveau procès est contre-indiquée, compte tenu des interrogations concernant la validité de l’appel de la poursuite à l’égard d’événements qui ne font pas partie de l’acte d’accusation, soit le rapport sexuel survenu à Magog, alors que l’accusé a été acquitté de l’infraction directement visée par l’acte d’accusation, soit le rapport sexuel survenu à Bonsecours. Une telle ordonnance aurait pour effet de mettre en péril la liberté de l’intimé à l’égard d’une infraction pour laquelle il a été acquitté. Cela serait contraire aux principes fondamentaux du droit criminel canadien et contreviendrait à l’article 11 h) de la charte. Bien que la Cour détienne le pouvoir de modifier un acte d’accusation, le problème qui se pose en l’espèce ne découle pas d’une modification, mais de la création d’un nouvel acte d’accusation contenant un chef d’accusation distinct. Or, la Cour ne possède pas un tel pouvoir.
Le texte intégral de la décision est disponible ici
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