Summaries Sunday: SOQUIJ
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PÉNAL (DROIT) : Le juge de première instance a commis une erreur de principe en prononçant, à l’égard d’un homme ayant agressé sexuellement sa partenaire intime, un sursis de peine qui ne reflétait pas adéquatement les objectifs de dénonciation et de dissuasion; la Cour substitue à celui-ci une peine d’emprisonnement avec sursis d’une durée de 24 mois moins 1 jour.
Intitulé : R. c. Aubie, 2024 QCCA 1677
Juridiction : Cour d’appel (C.A.), Montréal
Décision de : Juges Geneviève Marcotte, Patrick Healy et Frédéric Bachand
Date : 11 décembre 2024
Résumé
PÉNAL (DROIT) — détermination de la peine — infractions de nature sexuelle — agression sexuelle — victime conjointe enceinte — facteurs atténuants — rapport présentenciel favorable — remords — accusé ayant arrêté de consommer de l’alcool et des drogues — volonté de suivre une thérapie — pardon de la victime — facteurs aggravants — mauvais traitement à l’égard d’un partenaire intime — abus de confiance — force employée pendant l’agression — vulnérabilité de la victime — conséquences pour la victime — fourchette des peines — dénonciation — dissuasion — réhabilitation — proportionnalité de la peine — principe de la modération — sursis de peine — appel — erreur de principe — peine manifestement non indiquée — substitution de la peine — condamnation avec sursis — ordonnance de purger sa peine dans la collectivité — probation.
PÉNAL (DROIT) — détermination de la peine — principes généraux — nature des peines — condamnation avec sursis — ordonnance de purger sa peine dans la collectivité — agression sexuelle — victime conjointe — dénonciation — dissuasion — réhabilitation — proportionnalité de la peine — principe de la modération — sursis de peine — appel — erreur de principe — peine manifestement non indiquée — substitution de la peine.
PÉNAL (DROIT) — détermination de la peine — principes généraux — facteurs à prendre en considération — pardon de la victime — agression sexuelle — appel.
Requête en autorisation d’appel. Appel de la peine. Accueillis; une peine d’emprisonnement avec sursis de 24 mois moins 1 jour est substituée au sursis de peine prononcé et à l’ordonnance de probation rendue en première instance.
La poursuite conteste un jugement de la Cour du Québec ayant prononcé un sursis de peine assorti d’une probation de 3 ans, y compris l’exécution de 100 heures de travaux communautaires, après que l’intimé eut été déclaré coupable d’avoir agressé sexuellement sa conjointe. Au moment de l’agression, l’intimé, aux prises avec un problème de consommation d’alcool et de drogues, a fait des attouchements à la victime. Celle-ci, qui était enceinte, l’a repoussé en lui indiquant qu’elle ne souhaitait pas avoir de rapports sexuels. L’intimé a insisté. La victime a capitulé et, en pleurant, lui a dit de faire ce qu’il avait à faire.
Décision
Mme la juge Marcotte et M. le juge Healy: La peine est manifestement non indiquée; elle ne tient pas adéquatement compte des objectifs de dénonciation et de dissuasion. Toutefois, ceux-ci ne commandent pas à tout prix l’incarcération en l’espèce. L’ensemble des circonstances de l’affaire font qu’il y a lieu de distinguer la gravité de l’infraction de celle qui était examinée dans Lemieux c. R. (C.A., 2023-04-12), 2023 QCCA 480, SOQUIJ AZ-51928906, 2023EXP-1010. Les facteurs aggravants sont moindres dans le présent dossier et la Cour ne fait pas face à des objectifs de dénonciation et de dissuasion aussi pressants que dans cette affaire.
Le juge de première instance, qui avait initialement envisagé une peine d’emprisonnement, a souligné le rapport présentenciel favorable, mais a insisté surtout sur 2 facteurs qui l’ont fait changer d’avis. Premièrement, non seulement l’intimé a exprimé des remords sincères relativement à sa conduite et aux conséquences pour la victime, mais il a également apporté la preuve que, après l’infraction, il s’était résolument engagé sur le chemin de la réhabilitation. L’intimé a cessé de consommer de l’alcool et d’autres stupéfiants. Il s’est dit disposé à suivre d’autres traitements. Par ailleurs, il faut tenir compte du pardon offert par la victime sans qu’il soit opportun d’en réduire le sens ou la portée.
Il y a plutôt lieu de considérer l’emprisonnement avec sursis en fonction des conclusions de fait retenues par le juge, à l’égard desquelles la Cour doit faire preuve de déférence. Le juge a conclu que la perspective d’une réhabilitation véritable et complète rendait moins appropriée une peine se limitant aux objectifs de dénonciation et de dissuasion. Cette conclusion générale du juge est irréprochable, mais il en va différemment de la transposition de celle-ci en l’énoncé concret d’une peine. Les facteurs rédempteurs présents dans ce cas n’écartent pas l’impératif voulant que les sentences prononcées pour ce type d’infractions accordent une grande importance aux objectifs de dénonciation et de dissuasion. C’est pourquoi une peine proportionnelle comportera généralement une privation importante de liberté; toutefois, celle-ci ne prendra pas nécessairement la forme d’une incarcération.
Le juge a commis une erreur de principe lorsqu’il a prononcé un sursis de peine qui ne reflétait pas adéquatement les objectifs de dénonciation et de dissuasion. Ses considérations sur la réhabilitation de l’intimé étaient justifiées, mais l’omission d’envisager les autres options permettant d’atteindre le résultat recherché — dans des circonstances qui s’y prêtaient — constitue une erreur qui justifie d’infirmer la décision.
L’emprisonnement avec sursis est susceptible de préserver l’espoir de réhabilitation de l’intimé et respecte le principe de la modération, tout en imposant de sérieuses contraintes à sa liberté qui permettront de réaliser les objectifs correctifs de la peine. De telles contraintes auront des effets dénonciateurs et dissuasifs suffisants. Il y a donc lieu d’annuler le sursis de peine prononcé et l’ordonnance de probation rendue par le juge et de condamner l’intimé à purger une période d’emprisonnement avec sursis de 24 mois moins 1 jour.
M. le juge Bachand: Les jugements publiés depuis Lemieux ne paraissent pas justifier une remise en question de la fourchette des peines ni de la tendance favorisant l’incarcération en matière d’agression sexuelle. L’agression commise par l’intimé relève de la deuxième catégorie de la fourchette proposée dans l’affaire R. c. Cloutier (C.Q., 2004-12-20), SOQUIJ AZ-50286554, J.E. 2005-161, [2005] R.J.Q. 287. Les éléments qui, selon le juge, justifiaient de s’écarter de la fourchette de manière considérable ne suffisent manifestement pas pour conclure qu’il y a lieu de surseoir au prononcé de la peine. En ce qui concerne la preuve relative aux efforts effectués par l’intimé pour résoudre ses problèmes de consommation, on ne peut raisonnablement y accorder un poids très important. Le rapport présentenciel prend seulement acte des affirmations de l’intimé selon lesquelles il a complètement arrêté de consommer et a participé — mais seulement brièvement — au programme des Alcooliques anonymes ainsi que du fait qu’il reconnaît avoir possiblement besoin d’une aide spécialisée. Aucune autre preuve n’a été administrée à ce sujet. En ce qui a trait à la volonté qu’aurait manifestée l’intimé de s’investir dans une thérapie visant à résoudre ses problèmes relationnels, cet élément tend à démontrer tout au plus l’existence d’un certain potentiel de réhabilitation. Quant au pardon de la victime, il ne s’agit pas d’un facteur militant fortement en faveur d’un allégement de la peine. D’abord, la prudence est de mise à l’égard de l’influence du pardon de la victime sur la détermination de la peine, d’autant plus dans des affaires d’agressions commises dans un contexte conjugal. Ensuite, la victime en l’espèce n’a jamais exprimé le souhait que l’intimé ne soit pas incarcéré, sa démarche étant plutôt liée au processus de guérison qu’elle a choisi d’entreprendre. Son pardon ne change rien au fait que l’agression qu’elle a subie lui a causé des séquelles très importantes. Ainsi, la peine prononcée en première instance s’avère manifestement non indiquée. Il y a lieu de prononcer une peine d’incarcération de 2 ans moins 1 jour plutôt qu’une peine d’emprisonnement avec sursis. Les objectifs de dénonciation et de dissuasion sont particulièrement pressants dans le présent dossier. La gravité de l’atteinte à l’intégrité physique de la victime, la force employée par l’intimé durant l’agression, l’abus de confiance, la situation de vulnérabilité dans laquelle se trouvait la victime et les importantes séquelles qu’elle a subies l’emportent largement sur les facteurs atténuants.
Le texte intégral de la décision est disponible ici
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