Summaries Sunday: SOQUIJ
Every week we present the summary of a decision handed down by a Québec court provided to us by SOQUIJ and considered to be of interest to our readers throughout Canada. SOQUIJ is attached to the Québec Department of Justice and collects, analyzes, enriches, and disseminates legal information in Québec.
CONSTITUTIONNEL (DROIT) : Dans le contexte du projet hydroélectrique de la Romaine, Hydro-Québec, à titre de mandataire de la Couronne, a contrevenu à son obligation d’agir en conformité avec les principes de l’honneur envers des Innus et a fait preuve de mauvaise foi institutionnelle; elle est condamnée à payer 5 millions de dollars.
Intitulé : Innus de Uashat et de Mani-Utenam c. Hydro-Québec, 2025 QCCS 40
Juridiction : Cour supérieure (C.S.), Montréal
Décision de : Juge Thomas M. Davis
Date : 8 janvier 2025
Résumé
CONSTITUTIONNEL (DROIT) — autochtones — Innus — conseil de bande — chef — nullité — entente de principe — règlement hors cour — transaction — entente finale — projet hydro-électrique — rivière Romaine — négociation — mauvaise foi institutionnelle — société d’État — mandataire de la Couronne — honneur de la Couronne — réconciliation — obligation de droit public — obligation de consulter — obligation de bonne foi — ordre public — gouvernance de la communauté — référendum — famille dissidente — omission de soumettre l’entente de principe au conseil d’administration — comportement fautif — promesse — employé — non-respect des politiques — réparation — conduite déraisonnable — préjudice — dommages-intérêts — obligation de fiduciaire — gouvernement du Québec — gouvernement du Canada — appréciation de la preuve — jugement déclaratoire.
PRESCRIPTION EXTINCTIVE — délai — recours en nullité — entente de principe — règlement hors cour — mauvaise foi institutionnelle — société d’État — projet hydro-électrique — réclamation de dommages-intérêts — autochtones — Innus — prescription triennale — point de départ du calcul du délai.
CONTRAT — effets entre les parties — nature du contrat — entente de principe — projet hydro-électrique — autochtones — Innus — société d’État — mandataire de la Couronne — négociation — entente finale — promesse — relation harmonieuse à long terme — applicabilité — principe de l’intangibilité du contrat — honneur de la Couronne — réconciliation — obligation de bonne foi — obligation contractuelle — obligation implicite — devoir de loyauté.
CONTRAT — interprétation — intention des parties — communauté autochtone — Innus — société d’État — mandataire de la Couronne — projet hydro-électrique — entente de principe — règlement hors cour — entente finale — promesse — relation harmonieuse à long terme — interprétation généreuse — négociation — mauvaise foi institutionnelle — honneur de la Couronne — réconciliation — obligation de droit public — obligation de bonne foi — obligation contractuelle — obligation implicite — devoir de loyauté.
OBLIGATIONS — modalités — obligation conditionnelle — entente de principe — règlement hors cour — relation harmonieuse à long terme — honneur de la Couronne — réconciliation — entente finale — négociation — communauté autochtone — Innus — société d’État — mandataire de la Couronne — projet hydro-électrique — promesse.
CONTRATS SPÉCIAUX — transaction — formation — règlement hors cour — validité — vice de consentement — absence d’erreur inexcusable — condition essentielle — entente finale — société d’État — communauté autochtone — Innus — projet hydro-électrique — négociation — honneur de la couronne — obligation de consulter — mauvaise foi institutionnelle — ordre public — concession dérisoire.
DOMMAGE (ÉVALUATION) — dommage moral — mauvaise foi institutionnelle — honneur de la Couronne — atteinte à la gouvernance de la communauté — communauté autochtone — Innus — société d’État — projet hydro-électrique.
Demande en jugement déclaratoire et en réclamation de dommages-intérêts (15 M$). Accueillie en partie (5 M$).
La société d’État défenderesse Hydro-Québec a entrepris en 2004 la planification d’un projet hydro-électrique sur la rivière Romaine, lequel est à l’origine des présentes procédures. En 2009, les demandeurs, qui sont innus, ont entamé des procédures afin de contester certains aspects du projet, dont les lignes de transmission devant passer principalement sur les terres qu’ils considèrent comme faisant partie de leur territoire traditionnel. Au soutien de la présente demande, ils prétendent que, en tant que mandataire de la Couronne, la défenderesse doit appliquer les principes relatifs à l’honneur de la Couronne et à la réconciliation dans sa relation avec eux, qu’elle a failli à l’application de ces principes et qu’elle est également coupable de mauvaise foi institutionnelle à leur égard. Cette dernière leur oppose que sa relation avec eux est de nature commerciale, surtout dans le contexte des faits qui donnent lieu au présent litige. Outre un jugement déclaratoire, les demandeurs veulent obtenir la remise des parties dans l’état où elles se trouvaient avant la signature de l’entente de principe, les 27 et 28 février 2014. Ils estiment avoir droit à une indemnisation juste, correcte et équitable au sens de l’article 28 de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, laquelle est consacrée au droit positif du pays. De plus, ils attaquent la déclaration de règlement hors cour et le désistement dans le dossier de la Romaine et en demandent l’annulation au motif de vice de consentement puisque la conclusion d’une entente finale, à la suite de l’entente de principe, était une condition essentielle à sa signature. Enfin, ils requièrent une déclaration stipulant que le Canada et le Québec ont failli à leurs obligations fiduciaires en ne prenant pas des mesures concrètes afin de mettre un terme à l’impasse entre les demandeurs et la défenderesse.
Décision
Il n’y a pas lieu de retenir la prétention de la défenderesse voulant que la cause d’action des demandeurs soit prescrite en vertu de la prescription triennale prévue à l’article 2925 du Code civil du Québec (C.C.Q.), laquelle aurait pour point de départ la fin du mois de mai 2014, au plus tard. Les discussions en lien avec la négociation de l’entente de principe et le règlement des autres litiges se sont poursuivies longtemps après.
Quant au statut de la défenderesse, elle est une mandataire de l’État, soit de la Couronne provinciale. Vu les stipulations énoncées à la Loi sur Hydro-Québec, et puisqu’elle représente les intérêts de l’État québécois dans la poursuite de sa mission législative dans le cadre du développement et de l’exploitation du projet hydro-électrique, elle doit respecter tant les principes de l’honneur de la Couronne que ceux de la réconciliation dans sa relation avec les demandeurs.
Il n’est pas nécessaire de déterminer si l’entente de principe est un traité moderne. Les engagements de la défenderesse qui y sont consacrés permettent de voir que cette entente est beaucoup plus qu’un simple contrat commercial. Les discussions qui ont mené à sa conclusion démontrent que les parties visaient la création d’une relation harmonieuse à long terme. Les parties ont tenté de conclure une entente en dépit de la présence des familles dissidentes. L’entente de principe n’était qu’une étape vers une entente finale et ne devait donc pas, en soi, régler les litiges entre la défenderesse et les demandeurs. Il y a lieu de déclarer l’entente de principe nulle, notamment parce que la défenderesse n’a pas accompli une étape importante, soit de la transmettre au conseil d’administration comme convenu. Ce manquement contrevient à l’un des principes des relations entre la Couronne et les peuples autochtones puisque la défenderesse ne s’est pas acquittée d’une promesse (Manitoba Metis Federation Inc. c. Canada (Procureur général), (C.S. Can., 2013-03-08), 2013 CSC 14, SOQUIJ AZ-50944390, 2013EXP-799, J.E. 2013-429, [2013] 1 R.C.S. 623). Par ailleurs, le principe de l’intangibilité du contrat ne peut s’appliquer à l’entente de principe parce qu’il aurait pu y avoir des modalités devant être déterminées dans l’entente finale. Quant à l’omission de la défenderesse de respecter le résultat du référendum dont elle avait elle-même exigé la tenue, il faut retenir que, en agissant ainsi, elle n’a pas respecté la gouvernance de la communauté. Sa position à cet égard est déraisonnable. Il y a lieu de rappeler que, malgré la réussite d’un référendum à la suite de 2 échecs en 2011, la défenderesse n’a pas présenté l’entente de principe au conseil d’administration à cause de quelques familles dissidentes. En outre, il n’y a pas lieu de retenir la prétention de cette dernière voulant que l’échec de la «recette procédurale» soit imputable aux demandeurs. En l’espèce, le comportement de certains employés de la défenderesse a été fautif. Plusieurs d’entre eux se sont acquittés de leurs rôles sans tenir compte du principe de la réconciliation et de l’effet qu’auraient leurs gestes sur l’autorité du conseil de bande au sein de la communauté. En 2014, la défenderesse s’était engagée à veiller aux bonnes relations entre elle et les demandeurs, mais elle a rapidement abandonné cette posture après avoir reçu les lettres des familles dissidentes. En agissant ainsi, elle a omis de respecter son devoir de loyauté implicite prévu aux articles 6, 7 et 1375 C.C.Q., lequel est encore plus important dans le cadre de relations avec une communauté autochtone. En outre, bien que la défenderesse se soit dotée de plusieurs politiques devant régir ses relations avec les communautés autochtones, celles-ci n’ont pas été appliquées.
Quant à la déclaration de règlement hors cour, elle doit également être déclarée nulle. L’article 1497 C.C.Q. trouve application en l’espèce. Les parties ont prévu une condition future et incertaine dont dépendait ce règlement. La conclusion d’une entente finale était un élément essentiel à la signature de celui-ci. Il est irréaliste de demander au tribunal d’inférer que les demandeurs, après avoir reconnu que la somme de 75 101 717 $ était une compensation appropriée pour le projet, ont accepté que la défenderesse règle le litige en leur remettant 6,63 millions de dollars. La nullité de la déclaration de règlement hors cour vaut pour la défenderesse comme pour le Québec et le Canada.
Enfin, les agissements de la défenderesse ont causé et continuent de causer des dommages à la communauté, car elle a manqué aux exigences de la bonne foi ainsi qu’aux principes de l’honneur de la Couronne et de la réconciliation. Les demandeurs ont droit à des dommages-intérêts pour le préjudice subi. Entre la date de la signature de l’entente de principe et l’introduction des présentes procédures, ils auraient dû recevoir la somme de 2,5 millions de dollars, en plus de celle de 6,63 millions de dollars qui leur a été versée en 2015. Vu la mauvaise foi institutionnelle de la défenderesse et son manquement à ses devoirs, une somme additionnelle de 2,5 millions de dollars est accordée aux demandeurs.
En ce qui a trait au gouvernement du Québec, on ne peut conclure qu’il a manqué à ses obligations fiduciaires envers les demandeurs entre la signature de l’entente de principe et les présentes procédures. Quant au gouvernement du Canada, il n’avait pas le devoir de jouer un rôle actif dans l’impasse entre la défenderesse et les demandeurs.
Le texte intégral de la décision est disponible ici
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