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Summaries Sunday: SOQUIJ

Chaque semaine, nous vous présentons un résumé d’une décision d’un tribunal québécois qui nous est fourni par la Société québécoise d’information juridique (SOQUIJ) et ayant un intérêt pancanadien. SOQUIJ relève du ministre de la Justice du Québec, et elle analyse, organise, enrichit et diffuse le droit au Québec.

Every week we present a summary of a decision by a Québec court provided to us by SOQUIJ and selected to be of interest to our readers throughout Canada. SOQUIJ is attached to the Québec Department of Justice and collects, analyzes, enriches, and disseminates legal information in Québec.

CONSTITUTIONNEL (DROIT) : Contrairement à ce que prétendent les compagnies de tabac, la Loi sur le recouvrement du coût des soins de santé et des dommages-intérêts liés au tabac ne viole pas les articles 6 et 23 de la Charte des droits et libertés de la personne.

DROIT CONSTITUTIONNEL : L’affichage d’une marque de commerce uniquement dans une autre langue que le français ne contrevient pas à la Charte de la langue française ni au Règlement sur la langue du commerce et des affaires.

Intitulé : Magasins Best Buy ltée c. Québec (Procureur général), 2014 QCCS 1427
Juridiction : Cour supérieure (C.S.), Montréal, 500-17-074083-125
Décision de : Juge Michel Yergeau
Date : 9 avril 2014

CONSTITUTIONNEL (DROIT) — langue — langue d’affichage — affichage d’une marque de commerce uniquement dans une autre langue que le français — interprétation du paragraphe 4 de l’article 25 du Règlement sur la langue du commerce et des affaires — Office québécois de la langue française — changement d’interprétation — retrait du certificat de francisation — jugement déclaratoire.

PROCÉDURE CIVILE — jugement déclaratoire — rejet de procédure — difficulté réelle — compétence — Cour supérieure — langue d’affichage — Charte de la langue française — interprétation du paragraphe 4 de l’article 25 du Règlement sur la langue du commerce et des affaires — infraction pénale — compétence — Cour du Québec, Chambre criminelle et pénale.

Requête en jugement déclaratoire relative à l’affichage public de marques de commerce de langue anglaise. Accueillie. Requête en rejet de la requête en jugement déclaratoire. Rejetée.

Les demanderesses demandent au tribunal de déclarer: que, conformément au paragraphe 4 de l’article 25 du Règlement sur la langue du commerce et des affaires, l’affichage d’une marque de commerce uniquement dans une autre langue que le français est autorisé dans l’affichage et dans la publicité commerciale, et en particulier sur des enseignes de devanture de magasin lorsqu’il n’existe aucune version française déposée de la marque de commerce; que l’affichage, par les demanderesses, de leurs marques de commerce uniquement dans une autre langue que le français dans l’affichage et dans la publicité commerciale, lorsqu’il n’existe aucune version française déposée de la marque de commerce, ne contrevient pas à la Charte de la langue française ni au Règlement sur la langue du commerce et des affaires; et que l’Office québécois de la langue française (OQLF) ne peut suspendre, révoquer ou refuser de renouveler les certificats de francisation des demanderesses ni tenter d’imposer toute autre sanction, sur le seul fondement que les demanderesses utilisent des marques de commerce, au sens de la Loi sur les marques de commerce, dans leur affichage et leur publicité commerciale uniquement dans une autre langue que le français lorsqu’il n’existe aucune version française déposée de la marque de commerce.

Décision
Le procureur général du Québec (PGQ) prétend qu’une partie ne peut utiliser la requête en jugement déclaratoire pour court-circuiter le processus pénal en recherchant auprès de la Cour supérieure un jugement sur la question essentielle que la Cour du Québec, Chambre criminelle et pénale, devra trancher, en l’occurrence l’interprétation à donner à l’article 25 paragraphe 4 du règlement. Les demanderesses possèdent un intérêt à faire déterminer l’obligation qui leur échoit en vertu de l’article 58 de la charte et des articles 25 et 27 du règlement. Le législateur ne confie pas à une instance judiciaire particulière la compétence exclusive de décider des questions formulées par les demanderesses. Dans Kourtessis c. M.R.N. (C.S. Can., 1993-04-22), SOQUIJ AZ-93111050, J.E. 93-836, [1993] 2 R.C.S. 53, paragraphe 44, invoqué par le PGQ, la Cour suprême n’a fait que rappeler que la requête en jugement déclaratoire ne devrait pas être «généralement utilisée comme procédure incidente distincte pour en fait créer un droit d’appel automatique». Il n’y a dans cet arrêt aucune fin de non-recevoir de la requête en jugement déclaratoire. Suivre le PGQ dans son argumentation mènerait à juger irrecevables toutes les requêtes en jugement déclaratoire lorsqu’il y a une compétence concurrente de la Cour supérieure et d’une autre instance sur une même question à trancher. La Cour du Québec, Chambre criminelle et pénale, n’est pas, en vertu de la charte, un tribunal ayant compétence exclusive sur la question à laquelle les demanderesses cherchent réponse. Ces dernières ont une difficulté réelle à faire trancher puisque ce qui était auparavant acceptable au chapitre de l’affichage public de leurs marques de commerce serait dorénavant contraire à la charte et qu’elles risquent non seulement de faire l’objet de poursuites pénales, mais aussi de voir retirés ou suspendus leurs certificats de francisation. Par ailleurs, aucun constat d’infraction pour contravention à la charte n’a encore été signifié contre l’une ou l’autre d’entre elles au moment d’intenter leur requête en jugement déclaratoire. Ce n’est qu’après cette date que le Directeur des poursuites criminelles et pénales a fait signifier les constats d’infraction dont se trouve maintenant saisie la Cour du Québec, Chambre criminelle et pénale, ce qui est le contraire de la situation dans Poulin c. Commissaire au lobbyisme du Québec (C.A., 2013-01-25), 2013 QCCA 131, SOQUIJ AZ-50930333, 2013EXP-492, J.E. 2013-258. Par conséquent, la requête en jugement déclaratoire est le recours approprié.

L’article 58 alinéa 1 de la charte prévoit que l’affichage public et la publicité commerciale doivent se faire en français. La dérogation inscrite au paragraphe 4 de l’article 25 du règlement prévoit qu’une marque de commerce reconnue au sens de la Loi sur les marques de commerce peut être rédigée uniquement dans une autre langue que le français dans l’affichage public et la publicité commerciale, et ce, lorsqu’il n’y a pas de version française déposée; une telle dérogation est autorisée par le troisième alinéa de l’article 58 de la charte. Suivre le PGQ dans l’interprétation qu’il propose de ces dispositions législatives exige au départ de faire d’un nom d’entreprise et d’une marque de commerce des synonymes alors qu’il s’agit de deux notions juridiques distinctes. Selon lui, afficher publiquement une marque de commerce équivaut à afficher un nom d’entreprise, d’où l’obligation de lui adjoindre un générique en français pour répondre à l’article 63 de la charte. Cette proposition ne peut être retenue. En vertu des articles 63 et 64 de la charte, le nom d’entreprise ou le nom nécessaire à l’obtention de la personnalité juridique doit être en français. Les autres noms utilisés au Québec auxquels fait référence l’article 33 paragraphe 2 de la Loi sur la publicité légale des entreprises n’ont pas à l’être. L’article 66 de la charte n’a pas pour effet d’étendre à ces derniers les obligations énoncées aux articles 63 et 64 puisqu’il ne s’applique qu’au chapitre II de la loi, soit aux articles 12 à 16, et non à l’article 33. Il ne faut pas confondre le registre des entreprises, auquel s’applique l’article 66 de la charte, et la déclaration d’immatriculation, dont le contenu est défini à l’article 33 de la Loi sur la publicité légale des entreprises. Les noms d’entreprises visés par les articles 63 à 68 de la charte et l’article 33 paragraphe 1 de la Loi sur la publicité légale des entreprises doivent être distingués des autres noms visés par l’article 33 paragraphe 2 de cette même loi, sous peine d’incohérence rédactionnelle. La proposition d’interprétation du PGQ a également pour effet de priver la dérogation du paragraphe 4 de l’article 25 du règlement de toute application pratique. Ce n’est pas au tribunal qu’il revient de changer maintenant le cours des choses à l’aide d’un jugement déclaratoire alors que les textes législatifs et réglementaires sont clairs et appuyés d’un usage demeuré inchangé pendant deux décennies, jusqu’en 2010, alors que l’OQLF a entrepris un virage qui l’a amené à modifier sa position sur l’affichage public des marques de commerce dans une autre langue que le français pour exiger l’ajout d’un générique en français.

Le texte intégral de la décision est disponible ici

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