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Summaries Sunday: SOQUIJ

Chaque semaine, nous vous présentons un résumé d’une décision d’un tribunal québécois qui nous est fourni par la Société québécoise d’information juridique (SOQUIJ) et ayant un intérêt pancanadien. SOQUIJ relève du ministre de la Justice du Québec, et elle analyse, organise, enrichit et diffuse le droit au Québec.

Every week we present a summary of a decision by a Québec court provided to us by SOQUIJ and selected to be of interest to our readers throughout Canada. SOQUIJ is attached to the Québec Department of Justice and collects, analyzes, enriches, and disseminates legal information in Québec.

Pénal: La déclaration de culpabilité sous les accusations portées en vertu de la Loi sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre à l’encontre de l’appelant, qui a assumé un rôle de leader lors du conflit armé interne ayant donné lieu au massacre de 800 000 Rwandais en 1994, est maintenue.

Intitulé : Munyaneza c. R., 2014 QCCA 906
Juridiction : Cour d’appel (C.A.), Montréal, 500-10-004416-093
Décision de : Juges Pierre J. Dalphond, Allan R. Hilton et François Doyon
Date : 7 mai 2014

PÉNAL (DROIT) — infraction — infractions contre l’ordre public — divers — génocide — groupe ethnique tutsi du Rwanda — crime contre l’humanité — crime de guerre — application de la Loi sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre — élément de l’infraction — meurtre intentionnel — atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale — violence sexuelle — intention de détruire — pillage — appréciation de la preuve.

PÉNAL (DROIT) — infraction — infractions contre la personne — divers — génocide — groupe ethnique tutsi du Rwanda — crime contre l’humanité — crime de guerre — application de la Loi sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre — élément de l’infraction — meurtre intentionnel — violence sexuelle — pillage — appréciation de la preuve — crédibilité des témoins.

PÉNAL (DROIT) — preuve pénale — appréciation de la preuve — crédibilité des témoins — mise en garde de type Vetrovec — complice — corroboration — génocide — groupe ethnique tutsi du Rwanda — crime contre l’humanité — crime de guerre — poursuite au Canada — application de la Loi sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre.

INTERNATIONAL (DROIT) — convention internationale — génocide — groupe ethnique tutsi du Rwanda — crime contre l’humanité — crime de guerre — poursuite au Canada — application de la Loi sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre.

INTERPRÉTATION DES LOIS — versions anglaise et française – intention du législateur — article 6 (3) de la Loi sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre — préséance de la version anglaise.

Appel d’un jugement de la Cour supérieure ayant déclaré l’appelant coupable de génocide, de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre. Rejeté.

D’avril à juillet 1994, un conflit armé interne a donné lieu au massacre d’environ 800 000 Rwandais, principalement des membres de l’ethnie tutsie de même que des Hutus dits modérés, et à de nombreuses autres exactions (viols, sévices physiques, enlèvements, pillages, etc.). C’est dans ce contexte que l’appelant a été accusé sous sept chefs d’accusation en vertu de de la Loi sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre, soit deux chefs de crimes de génocide (art. 6 (1) a)), l’un commis par meurtres (chef no 1) et l’autre par atteintes graves à l’intégrité physique ou mentale (chef no 2), deux chefs de crimes contre l’humanité (art. 6 (1) b)), l’un commis par meurtres intentionnels (chef no 3) et l’autre par actes de violence sexuelle (chef no 4), et trois chefs de crimes de guerre (art. 6 (1) c)), le premier commis par meurtres (chef no 5), le deuxième par actes de violence sexuelle (chef no 6) et le troisième par pillages (chef no 7). En mai 2009, il a été reconnu coupable sous les sept chefs et, au mois d’octobre suivant, il a été condamné à l’emprisonnement à perpétuité. Il fait valoir que: 1) les actes allégués aux chefs nos 5, 6 et 7 ne constituaient pas des crimes de guerre selon le droit international en vigueur en 1994 ou, subsidiairement, selon le droit canadien en 1994; 2) sept chefs d’accusation sont invalides au motif d’imprécision; 3) le juge a commis des irrégularités qui ont rendu le procès inéquitable; 4) le juge a fait une interprétation erronée des éléments constitutifs allégués; et 5) le verdict est invalide en raison de l’absence manifeste de crédibilité des témoins de la poursuite.

Décision
C’est à tort que l’appelant soutient que les trois crimes de guerre dont il a été accusé n’existaient pas en droit international puisque les actes sous-jacents allégués auraient été commis dans le contexte d’un conflit armé non international, par opposition à un conflit armé international. À la lumière de la jurisprudence internationale, il appert que, en 1994, des actes graves commis au cours du conflit armé non international au Rwanda, tels le meurtre et le viol, constituaient des crimes de guerre. Quant au pillage, il s’agit d’un crime de droit coutumier et de droit conventionnel depuis fort longtemps. Il a d’ailleurs été reconnu dans plusieurs traités internationaux. De plus, le pillage n’a pas à être le fait d’une armée. La doctrine récente adopte aussi cette position. Par conséquent, en 1994, le pillage était un crime de guerre en droit international coutumier lorsqu’il était commis dans le contexte d’un conflit armé non international. Par ailleurs, la loi permet expressément la poursuite de ces actes au Canada. Elle criminalise en droit canadien tous les actes constituant des crimes au sens du droit international au moment où ils ont été commis, y compris les crimes de génocide, les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité dans le cours d’un conflit armé non international. Il est vrai que ceux reprochés à l’appelant ont été commis en 1994 alors que la loi n’a été adoptée qu’en 2000. Cela n’entraîne cependant pas la création rétroactive d’un crime. En effet, la loi ne tente pas de créer post facto un crime, mais uniquement de permettre la poursuite au Canada de personnes qui ont commis, avant son entrée en vigueur, des gestes qui constituaient, au moment où ils sont survenus, un génocide, un crime contre l’humanité ou un crime de guerre. Le législateur n’a pas créé de nouvelles conséquences juridiques pour le passé, mais uniquement pour l’avenir; tout au plus peut-on parler d’effet rétrospectif de la loi, mais non de rétroactivité au sens retenu dans Benner c. Canada (Secrétaire d’État), (C.S. Can., 1997-02-27), SOQUIJ AZ-97111022, J.E. 97-493, [1997] 1 R.C.S. 358. Cela dit, avec l’adoption de la loi, les auteurs d’un crime de guerre, d’un crime contre l’humanité et d’un génocide ne peuvent désormais espérer trouver au Canada une immunité de poursuite. Il s’ensuit que l’appelant pouvait être poursuivi au Canada pour des actes commis en 1994 au Rwanda si ceux-ci constituaient alors des crimes en droit international. La perte de l’immunité pour l’auteur d’un crime international désormais résidant au Canada ne constitue pas un moyen de défense et n’est pas visée par l’article 11 de la loi. Les articles 9 et 10 de la loi précisent que le procès se tient selon la procédure canadienne. Ainsi, ce sont les règles canadiennes prévues aux articles 581 à 601 du Code criminel (C.Cr.) qui s’appliquent. Celles-ci constituent un code de procédure complet en ce qui a trait aux chefs d’accusation. Rien n’indique que le législateur a souhaité incorporer à la loi les règles spéciales adoptées par les tribunaux pénaux internationaux ou encore un régime mixte composé de règles canadiennes et internationales. C’est en fonction des règles canadiennes que doivent être analysées tant la validité de l’acte d’accusation que ses conséquences sur l’équité du procès. Il suffit donc qu’un acte d’accusation respecte les exigences énoncées à l’article 581 C.Cr. L’appelant n’est pas accusé de meurtre, de violence sexuelle ou de pillage. Il est accusé d’un génocide, de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre, soit des délits qui auraient été commis par le biais de meurtres, d’actes de violence sexuelle et d’actes de pillage. La distinction est importante. Le crime contre l’humanité, le crime de génocide et le crime de guerre sont des infractions que l’on peut qualifier de «contextuelles». En l’espèce, l’appelant connaissait le contexte des accusations. De plus, avant le procès, la poursuite avait divulgué toute la preuve en sa possession. Par conséquent, l’appelant était pleinement en mesure de préparer sa défense. Les chefs d’accusation étaient suffisants au sens de l’article 581 (3) C.Cr.

La loi confère aux tribunaux canadiens une compétence universelle sur le génocide, le crime contre l’humanité et le crime de guerre, et elle renvoie au droit international pour la définition des éléments constitutifs. Pour interpréter et définir ces crimes ainsi que leurs infractions ou actes sous-jacents, un tribunal canadien peut donc tenir compte du droit international, notamment des décisions des tribunaux internationaux, ainsi que le rappelle la Cour suprême dans Mugesera c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), (C.S. Can., 2005-06-28), 2005 CSC 40, SOQUIJ AZ-50320517, J.E. 2005-1242, [2005] 2 R.C.S. 100. La volonté du législateur est d’écarter les dichotomies. Sauf lorsqu’elle renvoie expressément au droit canadien, la loi doit s’interpréter de manière cohérente avec les faits nouveaux dans le droit international et, pour ce faire, il importe de retenir la définition internationale des crimes et de leurs infractions sous-jacentes. À la lumière de la jurisprudence internationale et canadienne, de la doctrine et des textes de loi, et après étude de tous les éléments constitutifs des crimes contre l’humanité, du génocide et des crimes de guerre ainsi que des actes sous-jacents à ces crimes (meurtres, violences sexuelles et pillage), le moyen d’appel fondé sur une interprétation erronée par le juge de première instance des éléments constitutifs des crimes n’est pas retenu. Cela dit, en ce qui a trait aux éléments constitutifs propres au crime de génocide, la population tutsie constitue un groupe ethnique identifiable au sens de la définition du crime de génocide. Quant à l’élément moral, les versions anglaise et française de l’article 6 (3) de la loi diffèrent, la première incluant la mention «as such», alors que la deuxième ne reprend pas le terme «comme tel» qui se trouve pourtant dans tous les traités interdisant le génocide. Or, l’intention du législateur est de refléter le droit international et celui-ci accorde beaucoup d’importance au qualificatif «as such» qui se trouve dans les traités internationaux. Il s’ensuit que la version anglaise a préséance. Ainsi, l’acte doit avoir été perpétré dans l’intention spécifique de détruire, en tout ou en partie, un groupe identifiable de personnes «comme tel» ou «en tant que tel». Quant aux crimes de guerre, dont le pillage, il n’est pas nécessaire que le crime de guerre ait été commis sur un territoire géographique déterminé, non plus que sur une courte ou une longue période; ce crime ne se limite pas à des infractions purement militaires; l’accusé ne doit pas nécessairement être lui-même lié à l’une ou l’autre des parties au conflit et ses actes n’ont pas à être reliés à d’autres commis dans le cours du conflit; et, finalement, le crime ne guerre n’a pas à s’insérer dans une politique officielle de l’une des parties au conflit. Par ailleurs, il n’est pas nécessaire que l’accusé soit un officiel, un militaire, un policier ou un soldat. Il suffit d’une implication plus qu’accidentelle dans les exactions commises. En l’espèce, l’appelant est un homme instruit qui faisait partie de l’élite locale. Il a clairement adhéré à la campagne de destruction des Tutsis, s’affiliant d’ailleurs aux groupes Interahamwe (milice extrémiste hutue) au point d’exercer une influence certaine sur ces derniers.

Les griefs de l’appelant concernant l’évaluation de la preuve par le juge sont non fondés. En outre, le juge de première instance a répondu aux préoccupations de l’appelant eu égard à la crédibilité de certains témoins à la moralité douteuse et à la nécessité de se mettre en garde de la manière prescrite dans Vetrovec c. R. (C.S. Can., 1982-05-31), SOQUIJ AZ-82111054, J.E. 82-563, [1982] 1 R.C.S. 811. Il a noté les failles dans les témoignages puis a expliqué sa décision de les retenir néanmoins, en partie ou en totalité. Par ailleurs, l’analyse de la preuve d’identification révèle que le seuil de fiabilité objective requis a été atteint. Quant à l’allégation de contamination de la preuve en raison d’une collusion entre certains témoins, elle est strictement conjecturale et ne repose pas sur une preuve suffisante pour requérir une mise en garde. Par ailleurs, s’il y a eu collusion, son effet ne serait que collatéral, les témoignages ne constituant pas l’unique preuve présentée sur le sujet en question. D’autre part, les griefs relatifs à l’appréciation individualisée faite par le juge des 66 témoins entendus ne tiennent pas non plus. Malgré certaines divergences dans les témoignages de deux témoins, la conclusion du juge quant à la participation de l’appelant au massacre de l’église Ngoma est raisonnable. Il en va de même des meurtres de Tutsis commis à la préfecture. Par ailleurs, il est acquis que le terrain de la préfecture a été la scène de nombreuses exactions de nature sexuelle et, notamment, que des militaires et des miliciens de l’Interahamwe y venaient régulièrement enlever des femmes pour les violer. Certains éléments des témoignages considérés séparément ont pu paraître douteux. Toutefois, à moins de conclure au rejet en bloc de tous ces témoignages, le juge disposait de suffisamment d’éléments de preuve pour conclure que l’appelant s’était rendu à la préfecture à de nombreuses reprises et qu’il avait participé aux viols de nombreuses femmes qui s’y étaient réfugiées. Quant aux crimes commis aux barrières, les contradictions invoquées par l’appelant sont souvent mineures ou secondaires et portent sur des détails. Elles ne suffisent pas à écarter la conclusion du juge selon laquelle il était l’un des responsables des Interahamwe de Butare. Il n’y a pas lieu non plus d’écarter les conclusions du juge relativement à la participation de l’appelant aux meurtres de Tutsis perpétrés derrière le laboratoire universitaire. Enfin, pour ce qui est des autres incidents relatés par les témoins, dont le pillage d’un commerce, plusieurs des contradictions alléguées portent sur des faits périphériques à la question de savoir si l’appelant a participé à l’attaque du commerce. Quant à la preuve d’identification, elle était suffisante.

En ce qui a trait au caractère raisonnable des verdicts, l’appelant a admis l’existence, dans la préfecture de Butare, d’une attaque généralisée ou systématique dirigée contre la population civile d’origine tutsie. La quasi-totalité des témoins de la poursuite, qui n’avaient pour la plupart aucun lien entre eux, ont affirmé que l’appelant était un leader durant les événements. La preuve a aussi démontré qu’il était animé de l’intention de s’en prendre expressément aux Tutsis et qu’il était à l’avant-scène du conflit armé dans la préfecture de Butare. Sous chacun des sept chefs d’accusation, la poursuite a démontré les éléments constitutifs des crimes commis.

Le texte intégral de la décision est disponible ici

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