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Summaries Sunday: SOQUIJ

Every week we present the summary of a decision handed down by a Québec court provided to us by SOQUIJ and considered to be of interest to our readers throughout Canada. SOQUIJ is attached to the Québec Department of Justice and collects, analyzes, enriches, and disseminates legal information in Québec.

TRAVAIL : Les clauses des conventions collectives applicables aux étudiants travaillant dans une aluminerie sont discriminatoires et contreviennent à l’article 19 de la Charte des droits et libertés de la personne puisqu’elles leur attribuent un taux de salaire moindre que celui accordé aux salariés occasionnels et réguliers, et ce, pour un travail équivalent; cette disparité de traitement n’est justifiée par aucune exception.

Intitulé : Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Beaudry et autres) c. Aluminerie de Bécancour inc., 2018 QCTDP 12
Juridiction : Tribunal des droits de la personne (T.D.P.Q.), Trois-Rivières, 400-53-000019-159
Décision de : Juge Magali Lewis, présidente, Me Claudine Ouellet et Me Marie Pepin, assesseures
Date : 11 mai 2018

TRAVAIL — responsabilité et obligations — employeur — discrimination — condition sociale — âge — étudiant — aluminerie — clause de la convention collective — disparité de traitement — taux de salaire — travail équivalent — salariés occasionnels et réguliers — convention collective discriminatoire — article 19 de la Charte des droits et libertés de la personne — absence d’application de l’article 46 de la charte — droit à des conditions de travail justes et raisonnables — absence de responsabilité du syndicat — droit à une indemnité — dommage pécuniaire — dommage non pécuniaire.

DROITS ET LIBERTÉS — droit à l’égalité — actes discriminatoires — emploi — rémunération — taux de salaire — étudiant — condition sociale — âge — article 19 de la Charte des droits et libertés de la personne — travail équivalent — salariés occasionnels et réguliers — absence d’exceptions —.

DROITS ET LIBERTÉS — droit à l’égalité — motifs de discrimination — condition sociale — étudiant — emploi.

DROITS ET LIBERTÉS — droit à l’égalité — motifs de discrimination — âge — étudiant — emploi.

DROITS ET LIBERTÉS — recours et procédure — compétence — Tribunal des droits de la personne — discrimination — clause de la convention collective — pouvoir d’ordonnance à l’endroit du syndicat — prescription extinctive — décision sur la responsabilité solidaire du syndicat — prescription triennale — computation du délai — contrat à durée déterminée — date d’embauche — nouveau contrat.

DROITS ET LIBERTÉS — droits et libertés fondamentaux — dignité — emploi — atteinte discriminatoire — étudiant — condition sociale — âge — rémunération — disparité de traitement.

DOMMAGE (ÉVALUATION) — dommage moral — emploi — discrimination — condition sociale — âge — étudiants — rémunération — taux de salaire — disparité de traitement — atteinte à la dignité.

Demande introductive d’instance en vertu des articles 4, 10, 19 et 46 de la Charte des droits et libertés de la personne à l’encontre d’une disparité de traitement, réclamant des dommages moraux ainsi qu’une ordonnance pour la modification des conventions collectives. Accueillie en partie; une indemnité pour dommages matériels et moraux est accordée à l’endroit de chaque victime et une ordonnance de modifier les conventions collectives est rendue. Appel en garantie contre le syndicat. Rejeté.

Depuis le 1er janvier 2015, date d’entrée en vigueur de la modification de la rémunération des étudiants prévue à la convention collective 1994-2000 intervenue chez l’employeur, ces derniers gagnent un salaire inférieur à celui des salariés occasionnels ou réguliers. Cette modification n’est pas justifiée par une modification des tâches ou des responsabilités qui leur sont confiées mais par le nombre de tâches du poste auquel ils sont affectés. La Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse a déposé une action introductive d’instance en faveur des étudiants victimes de ce taux de rémunération inférieur et du syndicat les représentant. Elle allègue que les conditions salariales des étudiants portent atteinte à la reconnaissance et à l’exercice, en pleine égalité, de leurs droits à un salaire égal et à des conditions de travail justes et raisonnables sans distinction ou exclusion fondées sur leur condition sociale ou leur âge, en violation des articles 10, 19 et 46 de la charte. Elle réclame une indemnité pour dommages matériels et moraux payable aux victimes, et elle demande que le Tribunal ordonne notamment à l’employeur de modifier la clause de la convention collective qui serait discriminatoire afin de la rendre conforme à l’article 19 de la charte.

Décision

La Commission doit faire la preuve par prépondérance des probabilités de 3 éléments pour établir qu’il y a discrimination à première vue: 1) une distinction, une exclusion ou une préférence; 2) fondée sur l’un des motifs énumérés au premier alinéa de l’article 10 de la charte; et 3) ayant pour effet de détruire ou de compromettre le droit à la pleine égalité dans la reconnaissance et l’exercice d’un droit ou d’une liberté de la personne. Une fois cette preuve faite, l’auteur peut se justifier en invoquant les exemptions prévues par la charte. La personne qui allègue qu’un traitement distinct constitue une discrimination interdite par la charte doit démontrer qu’il y a un lien entre un motif prohibé de discrimination et le traitement distinct et que ce motif a été un facteur dans l’adoption du traitement différent. En matière salariale, le seul fait que le salaire payé à un groupe d’employés soit inférieur à celui versé à d’autres n’est donc pas suffisant pour être considéré comme discriminatoire. Il n’y a discrimination que si le groupe qui reçoit une rémunération moindre effectue un travail équivalent et si la preuve prépondérante établit que la distinction est fondée sur un motif interdit par l’article 10 de la charte, l’âge ou la condition sociale en l’occurrence. De plus, pour décider si un travail est équivalent à un autre, il faut tenir compte des qualifications requises des différentes catégories d’employés, de l’effort requis, des responsabilités assumées et des conditions de travail.

La Commission a établi qu’il y avait discrimination à première vue. La distinction salariale n’est pas contestée et ressort clairement des conventions collectives. La jurisprudence assimile la condition d’étudiant et le fait que les étudiants travaillent durant l’été pour payer leurs études à une «condition sociale» au sens de la charte. La condition sociale est la situation qu’une personne occupe au sein d’une communauté en fonction de ses origines, de son niveau d’instruction, de son occupation, de son revenu et des perceptions et représentations qui se rattachent à certaines données objectives au sein de sa communauté, situation qui peut constituer un état temporaire. Les tâches auxquelles les étudiants peuvent être affectés sont déterminées par la durée maximale d’embauche permise par les conventions, laquelle est directement reliée au fait que, en dehors de leur période d’embauche, ils doivent être étudiants à temps plein. C’est ce qui les distingue des salariés occasionnels et des réguliers. Ce n’est pas le fait qu’ils ne peuvent pas effectuer toutes les tâches. De même, parce qu’ils sont minoritaires parmi les syndiqués et que les négociations se déroulent en dehors de leur période d’embauche, la condition sociale de ceux-ci a été un facteur dans la distinction imposée.

Relativement au motif de l’âge, selon les chiffres présentés, les étudiants sont plus jeunes que la majorité des salariés occasionnels à l’embauche, en plus de faire partie d’un groupe social vulnérable. La distinction de salaire a pour effet de désavantager des personnes dans les premières années de l’âge adulte qui ont fait le choix de poursuivre des études, par rapport à des personnes plus âgées qui sont sur le marché du travail depuis plusieurs années.

Il n’y a pas lieu d’évaluer si les conditions salariales contestées contreviennent à l’article 46 de la charte, qui protège le droit de toute personne à des conditions de travail justes et raisonnables en lien avec sa santé, sa sécurité et son intégrité physique, car la question des conditions salariales est couverte par l’article 19 de la charte. La distinction salariale compromet le droit à la pleine égalité dans la reconnaissance et l’exercice du droit prévu à cet article, qui impose aux employeurs de payer un salaire égal pour un travail équivalent sans discrimination. La condition sociale a été un facteur dans l’adoption de la distinction salariale contestée et cette distinction a un effet désavantageux sur les jeunes de 18 ou 19 ans.

Les étudiants effectuent un travail équivalant à celui des salariés occasionnels ou à celui des réguliers. Selon la notion de «travail équivalent», ils accomplissent des tâches aussi dangereuses que celles réservées aux employés réguliers ou occasionnels, et ils sont aussi compétents à l’égard des tâches auxquelles ils sont assignés. L’employeur n’a pas démontré que les étudiants sont traités différemment parce qu’ils n’effectuent pas la totalité des tâches d’un poste. Concrètement, la situation des étudiants n’est pas différente de celle des réguliers et des occasionnels qui ne sont pas systématiquement formés à l’ensemble des tâches d’un poste. La rémunération moindre versée aux étudiants ne peut non plus être fondée sur l’expérience ni se justifier par leur manque d’expérience ou par l’ancienneté ou le mérite, comme le permettrait l’article 19 de la charte. En effet, dès sa première journée de travail, un salarié occasionnel gagne plus qu’un étudiant, peu importe les périodes de temps travaillées par ce dernier. L’employeur n’allègue pas que la rémunération moins élevée payée aux étudiants est reliée à leur productivité comme c’était le cas dans Commission des droits de la personne du Québec c. Ferme de la poulette grise Inc. (C.P., 1982-01-14), SOQUIJ AZ-82031041, J.E. 82-112, [1982] C.P. 79.

Les conventions collectives portent atteinte de façon discriminatoire à la dignité des victimes, en violation des articles 4 et 10 de la charte. Le fait que les étudiants aient choisi de retourner travailler chez cet employeur en sachant que leur salaire était moindre que celui payé aux autres employés n’élimine pas le fait qu’ils ont subi un traitement discriminatoire.

Quant à l’attribution de dommages-intérêts, une indemnité pour dommages matériels est accordée aux victimes. Pour ce qui est des dommages moraux, le fait de ne pas être considéré comme ayant la même valeur que les autres membres du groupe dont nous faisons partie du seul fait de notre appartenance à un groupe protégé par la charte implique nécessairement une atteinte à la dignité. Une indemnité de 1 000 $ pour compenser le dommage moral de chacun doit être versée. De plus, les ordonnances visant à obliger l’employeur à rendre les clauses discriminatoires conformes à l’article 19 de la charte sont justifiées.

Pour ce qui est de l’appel en garantie présenté par l’employeur de condamner solidairement le syndicat au paiement des indemnités, le Tribunal est compétent. Il emprunte le même raisonnement que dans Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse c. Delisle (T.D.P.Q., 2012-07-12), 2012 QCTDP 15, SOQUIJ AZ-50876640, 2012EXP-2928, J.E. 2012-1563. Si le Tribunal conclut qu’il y a discrimination, il doit déterminer qui est à l’origine de celle-ci, qui doit y remédier et qui doit indemniser les victimes. Même sans l’appel en garantie, le Tribunal devrait décider si l’employeur est le seul responsable du dommage ou si le syndicat, la partie plaignante, en est, en partie, responsable.

L’obligation de représentation du syndicat est une obligation de moyen. En outre, l’affaire Université Laval c. Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (C.A., 2005-01-24), 2005 QCCA 27, SOQUIJ AZ-50290361, J.E. 2005-280, D.T.E. 2005T-130, [2005] R.J.Q. 347, [2005] R.J.D.T. 1, établit que l’obligation du syndicat de ne pas contribuer à la mesure discriminatoire ne s’applique pas à l’obligation de l’employeur en vertu de l’article 19 de la charte d’accorder un salaire égal pour un travail équivalent. En l’espèce, le syndicat n’a jamais voulu une différence salariale pour les étudiants. Cette mesure a été amenée unilatéralement par l’employeur à la table des négociations en 1994 comme partie d’une offre finale qui, depuis et même après le dépôt d’une plainte par le syndicat à la Commission, a refusé de la retirer des conventions ultérieures. Le Tribunal n’avait pas à déterminer si les conditions de travail des étudiants étaient discriminatoires au sens de l’article 16 de la charte, mais seulement si les disparités salariales sont discriminatoires en ce qu’elles ne sont pas justifiées en fonction de l’un des critères énoncés à l’article 19 de la charte. Dans la mesure où l’article 16 de la charte se serait appliqué, le Tribunal aurait aussi conclu que le syndicat n’a pas exercé de discrimination.

Le recours en dommages-intérêts exercé en vertu de la charte est soumis à la prescription de 3 ans prévue à l’article 2925 du Code civil du Québec. Par contre, la computation du délai de la prescription d’un recours est régie par l’article 76 de la charte. Le délai de prescription du recours d’un étudiant pour faire valoir son droit d’obtenir un salaire non discriminatoire ne peut courir avant qu’il ne soit embauché. Ainsi, la prescription des réclamations de chacune des victimes n’a pas commencé à courir à partir du premier contrat d’embauche, mais plutôt à compter de la date d’embauche de chaque nouvelle période d’emploi. Certaines réclamations sont prescrites, d’autres ne le sont pas.

Le texte intégral de la décision est disponible ici

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