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Summaries Sunday: SOQUIJ

Every week we present the summary of a decision handed down by a Québec court provided to us by SOQUIJ and considered to be of interest to our readers throughout Canada. SOQUIJ is attached to the Québec Department of Justice and collects, analyzes, enriches, and disseminates legal information in Québec.

Constitutionnel :Le ministre des Ressources naturelles et de la Faune a violé les droits des peuples autochtones aux termes de la Convention de la Baie James et du Nord québécois en fixant par décret la date de la chasse aux caribous du troupeau de la rivière aux Feuilles au 15 novembre 2011 plutôt qu’au 1er décembre 2011 et en permettant la chasse aux caribous du troupeau de la rivière George en 2011.

Intitulé : Corporation Makivik c. Québec (Procureure générale), 2014 QCCA 1455
Juridiction : Cour d’appel (C.A.), Montréal, 500-09-022212-112 et 500-09-022213-110
Décision de : Juges Pierre J. Dalphond, Julie Dutil et Marie-France Bich
Date : 4 août 2014 (jugement rectifié le 14 août 2014)

CONSTITUTIONNEL (DROIT) — autochtones — droits issus de traités — chasse — Convention de la Baie James et du Nord québécoisRèglement sur la chasse — modification — validité — non-respect du processus prévu au chapitre 24 — Couronne — obligation de consultation — principe de l’honneur de la Couronne — atteinte non justifiée — réserve de droits.

ÉNERGIE, MINES ET RESSOURCES — chasse — autochtones — droits issus de traités — Convention de la Baie James et du Nord québécoisRèglement sur la chasse — modification — validité — Couronne — obligation de consultation — principe de l’honneur de la Couronne — atteinte non justifiée — réserve de droits.

INTERPRÉTATION DES LOIS — historique législatif — interprétation téléologique — chapitre 24 de la Convention de la Baie James et du Nord québécois.

Appel d’un jugement de la Cour supérieure ayant conclu à la validité de modifications au Règlement sur la chasse. Accueilli.

Les appelants se pourvoient à l’encontre d’un jugement de la Cour supérieure ayant conclu à la validité de modifications au Règlement sur la chasse malgré des manquements à l’obligation de consultation prévue à la Convention de la Baie James et du Nord québécois, qualifiés d’accrocs purement procéduraux. Les parties appelantes inuites et cries (ou leurs auteurs) ont signé la convention en 1975. Les parties appelantes naskapies y ont adhéré en 1978 par la signature de la Convention du Nord-Est québécois. La convention régit le développement et la préservation du Nord québécois de même que la protection sociale des peuples qui y vivent. Son chapitre 24 édicte plusieurs mesures applicables au régime de chasse, de pêche et de trappage sur le territoire, une superficie de 410 000 milles carrés des territoires de la Baie James et du Nouveau-Québec, dont la création d’un comité conjoint — chasse, pêche et trappage spécialisé. En 2010, le «Plan de gestion du caribou de la région du Nord du Québec (2004-2010)» a pris fin avec, en trame de fond, le constat d’un important déclin des deux troupeaux de caribous du territoire, soit le troupeau de la rivière George et celui de la rivière aux Feuilles. Les représentants autochtones qui siégeaient au comité ont prôné dès septembre 2010 l’adoption de mesures conservatoires; une résolution a été adoptée en ce sens. En décembre 2010, les représentants autochtones ont opté pour une fermeture complète de la chasse sportive, alors que ceux du gouvernement québécois préféraient une réduction de cette activité pour les non-autochtones, de façon à atténuer les conséquences économiques pour les pourvoiries. Par une lettre datée du 20 décembre 2010, le ministère des Ressources naturelles et de la Faune a proposé des mesures de réduction avec lesquelles les représentants autochtones étaient en désaccord. Les représentants du gouvernement ont refusé de voter. Le comité conjoint a adopté une résolution recommandant l’adoption des mesures conservatoires quant au troupeau de la rivière aux Feuilles grâce à l’abstention des représentants autochtones. Le 17 mars 2011, le ministre délégué a décidé unilatéralement de réinstaurer l’ancienne date d’ouverture de la saison de chasse quant à ce troupeau, et ce, sans avoir consulté le comité conjoint, dont la recommandation était ainsi écartée quant à la date d’ouverture de la chasse sportive. À cette même date, le ministre a annoncé des mesures qu’il a adoptées unilatéralement quant au troupeau de la rivière George. Il a affirmé avoir agi ainsi en raison de l’omission du comité conjoint de voter sur ses propositions. Le 31 mai, le comité a adopté, grâce au vote prépondérant du nouveau président, un représentant autochtone, une résolution fixant à 11 168 le total des prises par les non-autochtones dans la partie ouest du territoire et à 0 dans la partie est. Le Ministère a refusé d’y donner suite au motif que la résolution était illégale puisqu’elle ne visait que les prises par des non-autochtones. Le 13 juillet 2011, le Règlement modifiant le Règlement sur la chasse a été adopté. La juge de première instance a conclu qu’il y avait eu des manquements uniquement procéduraux à l’obligation de consultation, rejetant ainsi la demande de nullité du règlement, d’où l’appel.

Décision
M. le juge Dalphond: À la suite du rapatriement de la Constitution, les droits issus de la convention, dans leur volet tant collectif qu’individuel, sont devenus constitutionnellement protégés en vertu des articles 25 de la Charte canadienne des droits et libertés et 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. Il s’ensuit que la modification et l’extinction des droits issus de la convention ne peuvent se faire sans l’assentiment des peuples autochtones touchés, même en cas d’acte souverain de l’Assemblée nationale du Québec ou du Parlement du Canada (R. c. Sioui (C.S. Can., 1990-05-24), SOQUIJ AZ-90111044, J.E. 90-823, [1990] 1 R.C.S. 1025). Permettre à un ministre de ne pas suivre le processus prévu au chapitre 24 sous prétexte qu’il est inutile ou qu’il ne changerait pas le résultat final irait à contresens des obligations constitutionnelles de ce dernier. Il s’agirait alors non pas d’un accroc purement procédural, mais d’un manquement à l’honneur de la Couronne. Une analyse historique et téléologique du chapitre 24 de la convention fait ressortir que le ministre compétent est tenu de consulter de bonne foi avant d’exercer son pouvoir réglementaire, sauf pour des modifications mineures à la réglementation en place ne touchant pas les autochtones, et d’être réceptif aux avis et recommandations du comité conjoint. En l’espèce, le ministre a commis trois manquements au processus convenu au chapitre 24 de la convention. D’abord, le 17 mars 2011, il a annoncé une date d’ouverture de la chasse aux caribous de la rivière aux Feuilles unilatéralement, sans en discuter au préalable avec le comité conjoint. La date annoncée fait fi d’une résolution antérieure du comité, de surcroît adoptée par ses représentants. Un revirement de la position ministérielle est exactement le genre de situation où la convention impose clairement l’obligation de consulter le comité conjoint puisque cela ne constituait pas une modification mineure au sens de l’article 24.4.37. Ensuite, dans le cas du troupeau de la rivière George, le ministre a agi en violation de la position ferme des autochtones en présumant qu’il aurait «gagné» le vote si celui-ci avait été tenu. Ce faisant, il a fait fi du processus prévu au chapitre 24, soit un préalable à toute modification valide du règlement. Enfin, le projet de règlement modifié n’a pas été soumis au comité avant son adoption, ce qui contrevient à l’article 24.4.26 de la convention, mais aussi à l’article 75 a) de la Loi sur les droits de chasse et de pêche dans les territoires de la Baie James et du Nouveau-Québec. Ces atteintes au droit de consultation et de participation ne peuvent se justifier au sens de l’analyse requise sous l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 (R. c. Sparrow (C.S. Can., 1990-05-31), SOQUIJ AZ-90111047, J.E. 90-851, [1990] 1 R.C.S. 1075, Delgamuukw c. Colombie-Britannique (C.S. Can., 1997-12-11), SOQUIJ AZ-98111002, J.E. 98-38, [1997] 3 R.C.S. 1010, Nation Tsilhqot’in c. Colombie-Britannique (C.S. Can., 2014-06-26), 2014 CSC 44, SOQUIJ AZ-51085367, 2014EXP-2030, J.E. 2014-1148). Dans Corp. de l’Hôpital Bellechasse c. Pilote (C.A., 1973-02-01), 131950, la Cour d’appel a rappelé que l’inobservance des exigences procédurales ne peut être sauvegardée par la simple constatation que son observance ne changerait pas le résultat de la décision. Cela est d’autant plus vrai en l’espèce, où les procédures prescrites sont la confirmation d’un droit substantif de participation à la cogestion de la chasse, de la pêche et de la trappe dans le territoire. Par conséquent, il y a lieu de ne prononcer que des conclusions déclaratoires afin de déclarer que le ministre a violé les droits des peuples autochtones, de sorte que les manquements ne demeureront pas impunis. Les droits des peuples autochtones sont réservés quant à la réclamation d’une indemnisation pour les préjudices subis en raison de ces violations.

Le texte intégral de la décision est disponible ici

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